De fin août à fin novembre 2007, pas moins de 727 nouveaux romans déferleront dans les librairies. La traditionnelle rentrée littéraire française est chaque année plus pléthorique. C'est que le marché de l'édition est entre les mains de quelques groupes dont le livre n'est souvent qu'une activité parmi d'autres: leur objectif premier n'est plus de publier des oeuvres qui comptent ou de dénicher des talents, mais de prendre des parts de marché à la concurrence. Les gros éditeurs publient donc davantage de livres, mais à un tirage moins important: dans la masse, certains auront forcément du succès, ou décrocheront l'un des prix littéraires de l'automne... Dans cette logique mercantile, le livre est un produit dont la durée de vie en librairie ne dépasse guère quelques semaines. Il s'agit de laisser la place aux suivants.

Noyés par l'abondance, les médias tentent bien d'orienter leurs lecteurs. Mais comment dénicher les bons romans parmi les imprimés éphémères? Mercredi, l'agence de presse AFP décelait une tendance parmi certains «auteurs phares qui se frottent cet automne à l'actualité et à la marche du monde», avant d'évoquer seize auteurs français et une poignée de traductions. Sans surprise, l'agence reprend des écrivains mis en avant ces derniers jours par les principaux hebdomadaires et quotidiens.

Dénominateur commun de ces heureux élus: la plupart sont déjà connus du public. Soit en tant qu'auteurs de best-sellers, soit parce qu'ils sont eux-mêmes journalistes. L'AFP mentionne ainsi les nouveaux romans de plusieurs stars – Darrieussecq, Nothomb, Sollers ou Modiano –, de trois auteurs liés au secteur de l'édition et de sept journalistes (de Pierre Assouline aux frères Poivre d'Arvor). Certains ont déjà été primés par le passé. Et, surtout, aucun des titres cités n'est publié par un éditeur indépendant. Tous les médias s'étendent par ailleurs sur L'Aube le soir ou la nuit, roman-reportage sur la campagne électorale de Nicolas Sarkozy signé par l'auteure vedette Yasmina Reza. Le succès de certains livres doit peu au hasard, voire au talent: tiré d'emblée à 100 000 exemplaires, le dernier Reza est un best-seller avant même sa parution. «Un futur Goncourt pour l'écrivaine?» s'interrogeait Le Temps de jeudi.

Sans préjuger de la qualité littéraire des romans mis en avant, on ne peut que remarquer l'évidence des liaisons incestueuses entre auteurs, journalistes et éditeurs – qu'ils cumulent les rôles ou se connaissent à force de se fréquenter. Ces liens sont naturels, et les renvois d'ascenseur ont toujours existé. Mais la concentration de l'édition et de la presse a accentué le phénomène. Pour les voix différentes, marginales, dérangeantes ou simplement inconnues, il devient quasiment impossible de se faire entendre. Conséquence: une censure par l'abondance, encore aggravée par le roulement vertigineux des livres en librairie. D'où le rôle crucial que sont appelés à jouer les petits éditeurs indépendants. Leur poids économique est faible, mais ils contribuent à la diversité de la parole et à la vitalité de la pensée. Fragilisés par l'évolution du marché, ils ont besoin d'urgence de davantage de soutien des pouvoirs publics, notamment en matière de distribution. En France comme en Suisse.

http://www.lecourrier.ch/livres_la_censure_par_l_abondance

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