ÉDITION - Selon un récent rapport du Conseil fédéral, la situation du marché du livre en Suisse est «saine et stable». Un avis qui fait bondir les éditeurs romands en pleine préparation de la rentrée littéraire. Prise de température.

ENQUÊTE (II)  - On ne sait pas encore qui fixera le prix réglementé, comment, et à quel niveau. En France, la loi Lang a chargé l'éditeur et l'importateur d'en décider. Qu'est-ce que le prix unique changera, et qui en profitera?

ENQUÊTE (I) Une trentaine de librairies indépendantes ont disparu en Suisse romande depuis 2001. Afin de freiner l'hécatombe, les acteurs du livre en Suisse plébiscitent l'initiative pour le prix réglementé du livre, qui vient d'être acceptée par le Conseil national. Le point sur la question.

Lecteurs attentifs, vous passerez aujourd'hui devant de bien tristes librairies, qui affichent leurs vitrines vides comme un appel au secours. C'est qu'à Berne, des parlementaires décideront la semaine prochaine s'ils veulent d'une réglementation sur le prix unique du livre. Par leur opération «Vitrines blanches» et un Manifeste, les librairies indépendantes de Suisse romande entendent rappeler qu'un marché «complètement déréglé met en péril toute la chaîne du livre, de l'auteur au lecteur». Désarmées face aux prix cassés pratiqués par les grandes chaînes, 51librairies ont fermé en Suisse romande depuis 2001, et une vingtaine en Suisse alémanique. Mais malgré le marasme de la profession, jamais l'initiative pour un prix réglementé du livre lancée par feu Jean-Philippe Maitre (conseiller national PDC) n'a paru aussi menacée.

Selon la Commission de la concurrence, un prix libéralisé est en effet plus favorable au marché. Pas d'exception pour le secteur du livre, qui doit respecter la loi sur les cartels. Chef de l'Office fédéral de la culture, Pascal Couchepin estime lui aussi que le livre est un produit commercial au même titre qu'une savonnette. En juin, le Conseil fédéral rendait ainsi un rapport qui choquait toute la branche, dans lequel il jugeait la situation du livre en Suisse «saine et stable» depuis une décennie. Il justifiait la fermeture des librairies comme un ajustement structurel comparable à celui d'autres secteurs économiques. Une analyse grossière, qui ne rend pas compte de la réalité du monde de l'édition.

Car le rapport du Conseil fédéral met dans le même panier librairies indépendantes et grands groupes, oublie que tout objet imprimé n'est pas de la littérature et qu'il se vend davantage de sudokus et de Da Vinci Code que de littérature romande. C'est vrai, le livre en Suisse n'est pas menacé en tant que secteur commercial: on publie beaucoup et les ventes globales n'ont pas baissé. Mais la fermeture des librairies indépendantes fait peser une menace sur la diversité culturelle. Avec l'érosion des points de vente, l'édition romande aurait perdu le tiers de son chiffre d'affaires. Dans ces conditions, il devient plus dangereux de prendre des risques littéraires, la logique consumériste voulant que les éditeurs ne publient que des best-sellers... A terme, cela signifie la mort de la littérature.

Certes, on ne peut lier les difficultés actuelles à la seule guerre des prix entre Fnac et Payot. Le prix unique n'est pas la solution miracle. La situation suisse est particulièrement complexe, puisqu'elle diffère selon les régions linguistiques et que 80% des livres sont importés. Les modalités restent à définir, tout comme le cadre juridique. Mais le langage marchand de Pascal Couchepin trahit l'absence d'une politique globale du livre. Contrairement aux autres secteurs commerciaux, l'édition ne répond pas à la demande mais à l'offre. C'est la diversité de cette dernière que devrait soutenir une politique digne de ce nom. Une politique culturelle, tout simplement.

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