SUISSE - La Commission de la concurrence interdit pour la deuxième fois l'accord sur les prix en vigueur en Suisse alémanique. Recours annoncé.

 

La décision était attendue avec impatience par les milieux suisses du livre. Hier, la Commission de la concurrence (Comco) a confirmé l'avis défavorable qu'elle avait rendu sur la question en 1999: le prix réglementé du livre viole la loi sur les cartels et ne peut se justifier par des motifs d'efficacité économique. Il ne favorise ni l'augmentation ni la diversité de la production, et n'améliore pas les ventes par une densité accrue des points de vente. L'accord sur les prix en vigueur en Suisse alémanique doit donc être interdit. C'est la deuxième fois en six ans que la Comco se prononce négativement sur le sujet. En 1999, l'Association suisse des libraires et éditeurs (Schweizer Buchhändler- und Verlegerverband, SBVV) et celle du marché allemand du livre avaient recouru contre la décision. Le Tribunal fédéral (TF) leur donnait partiellement raison en 2002, renvoyant l'affaire à la Comco pour un nouvel examen, avec effet suspensif sur l'interdiction. Aujourd'hui, la Comco arrive à la même conclusion en précisant ses motifs. Mais les milieux du livre ne s'avouent pas vaincus.

«Nous allons déposer un nouveau recours devant la commission pour les questions de concurrence», annonce le président de la SBVV Men Haupt, qui se dit «très déçu»: «On ne peut pas suivre les arguments de la Comco, qui sont uniquement d'ordre économique. Le livre est un bien culturel, et non une marchandise comme une autre.» Si nécessaire, les associations professionnelles iront à nouveau jusqu'au TF.

 

POUR UNE LOI FÉDÉRALE

La Suisse romande n'est pas touchée par l'interdiction de la Comco: le prix de vente du livre n'y est pas réglementé, mais fixé par les diffuseurs selon un système de tabelles qui peut varier fortement de l'un à l'autre. Les libraires pratiquent ensuite des rabais selon leurs possibilités1. Mais les professionnels romands militent depuis des années aux côtés de leurs collègues d'outre-Sarine pour que la Confédération légifère sur le prix du livre. L'idée trouve un écho croissant depuis que les grandes librairies se font une «guerre des prix» à coup de rabais que les petits ne peuvent suivre: en deux ans, 36 librairies ont fermé en Suisse romande. Selon François Perret, secrétaire de l'Association suisse des diffuseurs, éditeurs et libraires (ASDEL), «du point de vue romand, la décision de la Comco révèle la nécessité et l'urgence d'une réglementation fédérale sur le prix du livre, afin d'empêcher la concentration de l'offre dans les grandes surfaces». Et de citer les résultats de l'étude publiée en septembre 2001 par l'institut Prognos, mandaté par l'Office fédéral de la culture: la suppression du prix imposé «entraîne plus d'inconvénients que d'avantages», notamment pour l'esmploi et la création littéraire. Selon Pascal Vandenberghe, directeur de la librairie romande Payot, la décision de la Comco n'a rien de surprenant. «Ce qui importe à présent, c'est la position de la commission du Conseil des Etats.»

 

LA SUITE EN MAI

Les acteurs du livre ont donc le regard tourné vers Berne. Le 13 septembre dernier, la commission de l'économie et des redevances (CER) du Conseil national acceptait de donner suite à l'initiative pour le prix réglementé du livre déposée par Jean-Philippe Maître. Celle-ci doit maintenant passer devant la CER du Conseil des Etats, qui attendait la décision de la Comco pour traiter le dossier. Si l'initiative est approuvée par cette dernière commission, elle sera ensuite débattue au Parlement. Le recours annoncé par la SBVV risque d'avoir un nouvel effet suspensif. La CER attendra-t-elle encore avant d'aborder la question? Selon son secrétaire Marcello Fontana, elle devrait en décider lors de sa séance du 23 mai prochain.

 

1 Lire Le Courrier du 30 octobre 2004, www.lecourrier.ch (archives)

 

Les acteurs du livre alémaniques ulcérés

La décision négative de la Comco fâche les libraires, les éditeurs et les auteurs alémaniques. Jusqu'ici, le combat pour le maintien du prix unique du livre a déjà coûté près d'un million de francs à la branche. Men Haupt, président de l'Association suisse des libraires et éditeurs (SBVV), prédit la disparition de 30 à 40% des librairies outre-Sarine. Quant au prix du livre, seuls les best-sellers vont voir leur prix baisser drastiquement. Selon M. Haupt, la fin de ce système est d'autant plus absurde que 80% des livres vendus en Suisse alémanique viennent d'Allemagne et d'Autriche, régis selon un système de prix unique comme de nombreux pays européens. L'Association des autrices et auteurs (AdS) ne cache pas non plus sa déception. «Il s'agit d'une mauvaise décision, qui va poser des problèmes considérables aux auteurs», a déclaré Peter Schmid. Jusqu'ici, ils recevaient 10% du prix du livre. Si le prix unique disparaît, leur revenu sera incertain. Comedia, le syndicat des arts graphiques, désapprouve également la décision de la Comco. Pas habilités à déposer un recours, l'AdS et Comedia soutiennent la SBVV et militeront pour que le Conseil fédéral corrige le tir.

 

http://www.lecourrier.ch/la_comco_casse_le_prix_unique_du_livre