En quête de l’amour absolu

Serge Filippini imagine la rencontre entre André Breton et sa dernière maîtresse. Une variation insolite sur le motif amoureux qui lie le poète et sa muse, du point de vue féminin.

En septembre 1966, Chance descend dans une auberge du village de Saint-Cirq-Lapopie, dans le Lot. Elle a quitté Paris et Virgile, le peintre qui partageait sa vie et qui vient de la violer. Le soir même, elle fait la connaissance du poète croate Radovan Ivsic, qui lui parle de la maison qu’André Breton possède à Saint-Cirq et où il séjourne en ce moment, malade. Ivsic donne à la jeune femme un exemplaire de Nadja et l’invite à leur rendre visite. Le lendemain matin, elle note sur la page de garde, au-dessus du nom du poète: «J’aimerai», geste programmatique qui donne son titre au dernier roman de Serge Filippini.

Et si c’était Nadja qui écrivait le roman de Breton? C’est autour de cette intuition que l’écrivain français construit son récit. Le poète surréaliste est tenté de rejouer avec Chance «le grand motif de sa vie amoureuse: aborder une femme, décider de l’aimer, ne plus penser qu’à elle et de ce lien faire naître, un jour, un livre». Fascinée, en quête d’amour, la jeune femme l’investit d’une mission: il sera son sauveur. Sauf qu’il décède à Paris quelques jours plus tard. Muse revendiquée puis abandonnée, elle devra assouvir autrement sa soif d’absolu.

La voie mystique

On suit ici sa trajectoire en zigzag, dérive sans boussole, ponctuée de rencontres masculines, tentée par le suicide. Chance ira en prison, abandonnera sa fille, verra s’afficher les slogans surréalistes sur les murs de Mai 68. J’aimerai André Breton ne craint pas les chemins de traverse, suivant sa protagoniste sur quelques décennies et dévoilant peu à peu son narrateur.

Alors que Nadja a fini sa vie internée en hôpital psychiatrique, c’est un autre retrait qui attire Chance: la voie mystique. La seule façon d’échapper à la domination des hommes est-elle de s’extraire de la société? De s’inventer une existence libérée du regard des autres, de son propre corps? Serge Filippini propose une lecture personnelle des rapports entre muse et poète, imaginant ce point de vue féminin radical. Violente et naïve, agaçante et libre, perdue et sauvage (Salvage est d’ailleurs son nom de famille), Chance incarne pour finir le silence face à la littérature, la liberté de s’imaginer une existence face à la cruauté des étiquettes et de l’oubli.

 

Serge Filippini, J’aimerai André Breton, Ed. Phébus, 2018, 192 pp.

https://lecourrier.ch/2018/08/30/en-quete-de-lamour-absolu/

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