Eloge de la sueur

 

Entre épopées collectives et tragédies intimes, le sport a offert de formidables sujets à la littérature. A l’heure où le foot fait vibrer la planète, échos d’un dialogue loin de s’épuiser.

Eloge de la sueur
La boxe inspire les écrivains par sa mise en scène de la violence, sa dimension tragique. WIKIMEDIA

 

 

Albert Camus aimait le foot, tout comme Jean Giraudoux ou Pasolini. Le cyclisme a offert des pages magnifiques à Colette ou Eric Fottorino. Jean Cocteau a écrit sur la danse comme sur la boxe. Murakami, marathonien, a signé le très beau Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, Jean Echenoz a rendu hommage au Tchèque Emil Zatopek dans Courir. Parmi les classiques, Maupassant, Flaubert, Dumas, Jules Verne, Apollinaire ou Zola se sont intéressés au sport. Mais la liste serait encore longue, et la Suisse romande n’est pas en reste. Ici, Georges Haldas et Yves Laplace ont écrit sur le foot, Cingria était inséparable de son vélo, la course à pied a les faveurs de Daniel de Roulet, le cyclisme et le hockey ont inspiré des récits à Michaël Perruchoud, la boxe est chère à l’univers de Joseph Incardona, (lire également ci-dessous).

 

Tour à tour loisir, compétition et spectacle, entre épopée et tragédie, défis intimes et collectifs, le sport s’avère une riche matière littéraire en prise avec des enjeux de société. Et écrire n’est-il pas aussi dépassement de soi, ascèse et confrontation à ses limites? Professeure en histoire du sport à l’université de Lyon, Julie Gaucher est auteure d’une thèse qui montre comment l’introduction du sport dans la littérature a renouvelé les modèles masculin et féminin (Sport et genre: quand la littérature s’en mêle, 2008). Elle a également publié Ballon rond et héros modernes. Quand la littérature s’intéresse à la masculinité des terrains de football (Peter Lang, 2016). A l’heure où le Mondial met le feu aux poudres, elle éclaire pour nous les liens entre sport et littérature.

 

 

 

A quel moment les écrivains se sont-ils intéressés au sport?

 

Julie Gaucher: Dès la fin du XIXe siècle, en même temps qu’émergeait la notion de «sport». Quand il relance les Jeux olympiques en 1894, Pierre de Coubertin y introduit aussi des concours artistiques. Entre 1912 et 1948, on pouvait ainsi être médaillé olympique en sculpture, architecture, peinture ou littérature! Autour des Jeux de 1924 a paru en France un nombre impressionnant d’ouvrages sur le sport, œuvres de grands écrivains comme Henry de Montherlant ou Jean Giraudoux. Le jury du concours littéraire de cette année réunissait autour de ce dernier d’Annunzio, Barrès, Claudel, Valéry, Anna de Noailles…

 

Plusieurs prix encouragent à cette époque la littérature sportive. C’est ainsi en 1928 que la Fédération française de football crée son concours littéraire (elle vient de lancer une série de livres pour la jeunesse avec les Editions Nathan, ndlr). Les éditeurs suivent, inaugurant des collections dédiées au sport, littéraires ou plus techniques. Ces initiatives se multiplient au lendemain de la Grande Guerre.

 

Assiste-t-on alors à une évolution du modèle du héros?

 

A la fin du XIXe siècle, c’est la figure du dandy qui dominait l’imaginaire littéraire, en même temps que celle du soldat. Après la Première Guerre mondiale, la désaffection de ces modèles masculins laisse un vide: il sera investi par la figure du sportif, qui délimite les contours d’un nouvel idéal viril, véhiculant aussi des valeurs de partage, de fraternité. Importé d’outre-Manche, le joueur de football devient par ailleurs une figure emblématique des années 1920.

 

 Durant cette période, le stade est un lieu de rencontres entre artistes, à l’image des salons et cafés littéraires. En 1919 est fondé le modeste Plume-Palette-Club, afin d’inciter peintres et auteurs à créer des œuvres à thème sportif. Les écrivains sont nombreux à investir ce nouvel engouement pour le sport, le pensant à même de redynamiser la littérature. L’Association des écrivains sportifs est issue de ce club. Créée en 1931, elle sera d’abord présidée par Giraudoux, puis par Tristan Bernard et Paul Vialar. On y retrouve Montherlant, Maurice Genevoix, Paul Morand ou Jean Prévost. Elle décerne toujours plusieurs prix littéraires de qualité – le premier, en 1943, avait récompensé Roger Frison Roche pour Premier de cordée.

 

Les auteurs de ces romans sont en majorité des hommes, tout comme leurs protagonistes. De quelle manière les femmes investissent-elles le thème?

 

Les années 1920 voient aussi l’émergence de la sportive. Les premiers clubs féminins se structurent en fédérations, les femmes tentent de faire leur place au sein des Jeux olympiques dès 1917, et organisent leurs propres compétitions. Le personnage de la sportive fascine par sa nouveauté et on le retrouve en littérature avec Montherlant, Morand, Giraudoux, mais aussi chez les auteurs de romans populaires qui y voient une occasion de renouveler leurs intrigues souvent stéréotypées.

 

Il y a alors deux courants. D’une part, des œuvres se saisissent de ce nouveau personnage sans remettre en question les rapports traditionnels et les codes de l’«éternel féminin». La femme peut s’émanciper, mais si elle pratique un sport, celui-ci doit l’aider à être une bonne mère et épouse. On privilégie les sports non violents et non compétitifs comme le tennis, la natation, le patinage, la danse.

 

Les romancières elles-mêmes intègrent les limites fixées par les hommes. Dans La Femme et le sport et Jeunes filles au soleil (1944 et 1945), Marie-Thérèse Eyquem oppose un modèle féminin traditionnel à des figures repoussoirs. Dans Le Songe, Montherlant met en scène une athlète androgyne qui semble représenter un nouvel idéal féminin, mais qu’il valorise et dévalorise à la fois en la montrant asexuée. Entre 1920 et 1955 (la période que j’ai étudiée), des médecins vont aussi prendre la plume pour inviter les femmes à la prudence et à la modération.

 

Mais d’autre part, les Années Folles sont propices à l’émergence de figures féminines émancipées dans la littérature. Certaines œuvres bousculent les traditions, le corps féminin est montré dans sa réalité physiologique, capable de souffrance, d’effort, de performance. Les normes de la féminité évoluent et induisent de nouveaux rapports de genre. Je pense notamment aux portraits de championnes olympiques que brosse Géo-Charles, poète spectateur des Jeux de 1924 (La VIIIe Olympiade, 1928), à la nageuse de La Trêve olympique de Georges Magnane (1950) ou encore à La Jeune fille et la cendre de Georges Linaire (1952).

 

Boxe et cyclisme semblent être les sports favoris des lettres.

 

C’est vrai. Ils ont les faveurs de la grande littérature, dont la frontière avec le journalisme est parfois difficile à établir – qu’on pense à Albert Londres. Le foot et l’athlétisme sont aussi très populaires, alors que le rugby, en France, a longtemps été réservé aux élites sociales.

 

 

Dès les années 1950, pourtant, la littérature a dédaigné les thèmes sportifs. Comment l’expliquer?

 

 

En France, la littérature sportive s’est essoufflée avec l’émergence de la radio et de la télévision: les exploits n’avaient plus à être vécus par le texte, surtout dans la littérature populaire. Cette traversée du désert n’a pas touché les Etats-Unis, où excellent en la matière Ernest Hemingway, Norman Mailer, Jerome Charyn ou Joyce Carol Oates. Mais en France, une forte dichotomie entre corps et esprit a contribué à dévaloriser le sport. On ne retrouve pas cette opposition dans la culture américaine, où le sport occupe une place de choix dans les universités.

 

 

Après ce passage à vide, vit-on aujourd’hui un nouvel élan?

 

 

Oui, les écrivains contemporains ont repris le flambeau depuis une quinzaine d’années. Ecrire sur le sport n’est plus dégradant. Il est devenu un sujet comme un autre. Ce nouvel engouement est d’abord passé par le polar, avec Didier Daeninckx ou Jean-Bernard Pouy par exemple, puis de nouveaux auteurs s’y sont intéressés, comme Jean Echenoz ou Jean-Noël Blanc.

 

Il y a aussi beaucoup de jeunes talents, qu’on pense à Cécile Coulon (Le Cœur du pélican) ou Lola Lafon. Cette dernière a signé l’excellent La Petite Communiste qui ne souriait jamais (2014), sur la gymnaste Nadia Comaneci, dont le succès est aussi lié au regain d’intérêt pour les biographies fictionnelles, ces récits qui mettent en fiction la vie de personnalités. Citons aussi Kornelia de Vincent Duluc, sur une nageuse est-allemande, ou son Printemps 76, souvenirs d’un enfant de Saint-Etienne.

 

 

Les émotions d’enfance liées au sport jouent-elles souvent un rôle dans ces récits?

 

 

Oui. Quelle différence, par ailleurs, entre sport et jeu? L’histoire du foot peut se lire dans la littérature, mais aussi à l’échelle de l’homme: il est un outil de transmission paternelle, à la fois lien au père et objet de séduction. Quand on est un homme, la masculinité revêt aussi une dimension sportive.

 

 

Le thème sportif renouvelle-t-il l’écriture? Inspire-t-il de nouvelles formes littéraires?

 

 

De nombreux auteurs s’accordent à reconnaître les innovations stylistiques apportées par la thématique sportive. A en croire Gilbert Prouteau, le style, direct et dépouillé, ose «plus de rapidité dans l’exposé d’une théorie, dans l’amorce d’une œuvre romanesque, moins de précautions oratoires, des transitions moins prudentes». Les phrases, au rythme saccadé, jouant des silences et des ellipses, suivent le halètement du sportif. A la perte de repères du boxeur groggy, aux divagations de l’athlète épuisé, répondent des ruptures du fil énonciatif et, de façon extrême, le silence d’une écriture qui s’éteint dans des points de suspension. Onomatopées, formules lapidaires et tournures elliptiques chahutent le rythme fluide et lisse de la description; le jeu des sonorités traduit le chant de la course.

 

 

Mais le genre est aussi renouvelé par la montée en puissance du roman graphique. Clément Oubrerie et Julie Birmant ont signé une superbe biographie de la danseuse Isadora Duncan. Un Maillot pour l’Algérie de Rey, Galic et Kris évoque le rôle essentiel joué par le foot lors de l’indépendance. Cet automne paraît un album de Kris sur la sulfureuse Violette Morris. Autre exemple, dans deux tomes des Culottées, Pénélope Bagieu rend hommage à des sportives d’exception, la nageuse Annette Kellerman et l’athlète Cheryl Bridges.


 

 

Le sport? Une focale pour observer le monde

 

 

En Suisse romande, BSN press a lancé une collection dédiée au sport. Quant aux éditions françaises Salto, elles publient exclusivement de la littérature sportive.

 

 

On connaît BSN Press pour ses romans noirs et son regard sur des enjeux de société. L’année dernière, l’éditeur lausannois a lancé Uppercut, collection de courts romans consacrés au sport dont le septième titre vient de paraître: dans 24 heures, Marie-Christine Horn signe un hommage à son père pilote de course en imaginant la disparition de Marion, fille d’un ancien champion de F3. «Il me semble que le sport rejoint les préoccupations sociales qui me touchent», explique Giuseppe Merrone, qui s’occupe également des éditions de sciences sociales A contrario, de l’université de Lausanne.

 

 

Pour Uppercut, chaque auteur choisit une discipline et l’intègre à son univers littéraire. La plupart des titres publiés ont une tonalité noire. «Le sport n’amène pas à des récits forcément légers ou peu intellectuels, au contraire, commente Giuseppe Merrone. Il y est question de dépassement de soi, de beauté du geste, de discipline, mais aussi de pouvoir, d’exclusion et de violence. Les destins broyés sont la métaphore de notre monde. Le sport est ainsi une focale pour observer la société.»

 

La durée d’un match de foot

 

 

Née de son intérêt pour la critique sociale, la collection porte aussi une dimension plus affective. «C’est par la boxe, pratiquée en amateur, que s’est fait pour moi le lien entre sport et littérature.» Une nouvelle de Jack London a joué le rôle de révélateur: dans Le Steak, l’écrivain américain met en scène un boxeur pauvre qui a l’occasion de faire un combat important mais n’a pas de quoi manger juste avant le duel. Il lui manquera l’énergie nécessaire pour gagner.

 

 

«La boxe est souvent liée à un milieu social défavorisé, poursuit l’éditeur. Il règne dans les salles une ambiance particulière, toujours à deux doigts de la tragédie. Comme le cyclisme, elle possède une dimension tragique qui la rapproche du récit classique. Il y est question de chute et de rédemption, de revanches et d’échecs.» Et nombreux sont les écrivains à l’avoir mise au cœur de leurs romans.

 

 

Formellement, Giuseppe Merrone a donné à ses auteurs une seule contrainte: le format, entre longue nouvelle et court roman (64 à 80 pages), dont la durée de lecture ne doit pas excéder celle d’un match de foot. «Il y a quelque chose de sportif dans l’écriture de ces romans, sourit-il. Comme un match éliminatoire, il y a peu de temps pour arriver au résultat. Il faut aller droit au but, viser l’efficacité.» Le format de la collection est souvent pour les auteurs une respiration bienvenue entre deux projets plus longs. Il permet par ailleurs à Giuseppe Merrone de publier des écrivains liés à d’autres maisons. C’est le cas du Français Philippe Lafitte, qui y signe le très réussi Eaux troubles, sur la dérive d’une ancienne plongeuse confrontée à la violence des hommes.

 

 

Alors que le monde littéraire s’est féminisé, la littérature sportive reste très masculine, au niveau des auteurs comme des personnages. «Même quand des romancières se lancent, note l’éditeur, leurs figures tragiques ou héroïques sont souvent masculines.» Uppercut est l’exception qui confirme la règle, puisque ses plumes sont pour l’heure en majorité féminines.

 

Sports de niche prisés

 

A Méjannes-le-Clap, dans le Gard, les toutes jeunes Editions Salto, créées en 2015, se sont spécialisées dans la littérature sportive. Pour Julien Bernard, le déclic a eu lieu grâce à une lecture marquante, L’Art du jeu de Chad Harbach, qui se déroule dans le milieu du baseball américain. «J’ai cherché d’autres livres du genre et me suis rendu compte qu’il n’existait aucun éditeur spécialisé dans la littérature sportive en France. Je me suis lancé.»

 

 

Salto reçoit entre cinq et dix manuscrits par mois. «Notre petite équipe, aux goûts très différents, privilégie d’abord la qualité littéraire, puis le sujet.» L’histoire du sport intéresse beaucoup les lecteurs, a-t-il constaté, de même que les biographies romancées. Mais aussi les sports de niche. «Les romans sur des sports très médiatisés se retrouvent en concurrence avec beaucoup d’autres titres et il est difficile de les imposer. Alors que Fausses pelles, recueil de récits autour de l’aviron signé Benoît Decock, a très bien marché et a été nominé pour le Goncourt de la nouvelle.»

 

 

Julien Bernard salue la dynamique qui s’est enclenchée autour de la littérature sportive en France depuis quelques années. Les salons du livre dédiés au genre se multiplient, l’Association des écrivains sportifs a trouvé un souffle neuf sous la présidence du journaliste sportif et écrivain Benoît Heimermann, et l’éditeur lui-même fait partie de l’association Ecrire le sport, qui promeut le genre via événements et concours. APD

 


 

«Le corps est une façon de se mesurer au réel»

 

 

Boxe, cyclisme, hockey, course… le sport a sa place dans l’œuvre des Romands Joseph Incardona et Michaël Perruchoud.

 

Pour la collection Uppercut, Joseph Incardona a écrit Les Poings, où un boxeur déchu tente de revenir au combat mais ne vainc ni le doute ni la peur. La boxe fait partie de l’univers romanesque de l’auteur genevois – qui la pratique également en amateur –, aux côtés d’autres sports. On la retrouve dans Remington, qui parle aussi de triathlon, tout comme Nomad Island où le protagoniste s’entraîne à la course; les souvenirs d’enfance de Permis C évoquent un match de foot, tandis que la compétition est au cœur du championnat de sauna de Chaleur. Et si Derrière les panneaux, il y a des hommes ne s’occupe pas de sport, le personnage de la mère est malgré tout une ancienne championne d’escrime au corps toujours musclé.

 

 

Plus que le sport proprement dit, ce qui intéresse Joseph Incardona est la dimension physique de l’expérience. «Pour moi, le corps est une façon d’éprouver le monde. C’est à travers l’expérience du corps que passe celle de la vie. Cela ouvre aussi au domaine de la sexualité, autre thermomètre existentiel. Le corps te mesure au réel.»

 

Corps et littérature

 

 

Cette physicalité est liée pour lui à une certaine idée de la littérature. «C’est pour cette raison que j’aime Cendrars, qui a éprouvé son corps dans les voyages, la guerre, mais aussi Jack London ou Ernest Hemingway.» Les héros de Joseph Incardona, eux aussi, agissent plutôt qu’ils ne parlent. Dans Chaleur, ils mettent leurs limites à l’épreuve en restant immobiles, paradoxe qui ouvre à la dimension existentielle de toute compétition. «Il n’y a pas de dichotomie à mes yeux entre corps et esprit, ils doivent se rejoindre. Mais il n’y a pas toujours adéquation entre eux, le corps refusant parfois ce que la volonté exige…»

 

 

On retrouve alors une notion très chrétienne du corps malmené, martyrisé, que reflètent aussi la discipline et l’ascèse demandées par le sport. «Dans Les Poings, le héros doit perdre 26 kilos en quatre mois, c’est dévastateur. Le sport impose de lutter avec son corps, il dit aussi la peur de sa déchéance et de la maladie, le combat qu’on mène pour y résister.» Dans ce combat, si la boxe occupe une place de choix, c’est qu’«on ne peut pas tricher, elle est une école du courage où s’expriment une intelligence du corps, une intégration du mouvement».

 

La boxe, une scène de théâtre

 

 

Elle est aussi théâtrale, avec sa scène illuminée et surélevée entourée de spectateurs dans l’ombre, son unité de lieu, d’action et de temps. La mise en scène de la violence qu’elle propose permet de la canaliser: boxer n’est pas frapper mais poser des règles, une structure, à ce qui sera le combat. Enfin, l’ambiance y est particulière, urbaine et jazzy, prisée du cinéma comme du roman noir. «Il y a une esthétique de la boxe: se baisser entre les cordes, enlever son peignoir sous les invectives du public… Et c’est aussi, comme toujours, un prétexte pour parler d’autre chose», glisse encore Joseph Incardona.

 

 

Pour Michaël Perrruchoud, boxe et cyclisme sont des sports populaires où les destins cassés offrent une incroyable matière à récit. «Les plus aimés sont ceux qui ont foiré leur vie.» Lui a signé cette année Ambri 4-2, sur le derby de hockey qui opposa le petit club d’Ambri-­Piotta au grand Lugano et, en 2008, Bartali sans ses clopes, une histoire du Tour de France de 1903 à 2007, dont les protagonistes sont traités comme des personnages romanesques.

 

Une course, c’est une histoire

 

 

Il y parle notamment des Italiens Fausto Coppi et Gino Bartali, représentants du cyclisme d’avant et d’après-guerre. «Coppi est communiste, Bartali a sauvé des juifs pendant la guerre, dédie sa victoire au pape et roule pour la démocratie chrétienne. Ils se détestaient mais se liaient dès qu’il s’agissait de faire perdre un coureur fasciste.» Et de citer la série de chroniques que Dino Buzzati a consacré au Tour d’Italie de 1949 – véritable monument littéraire, réédité en 2017 –, où l’écrivain italien évoque la passation de pouvoir de ces deux géants du vélo.

 

 

«Mon père était coureur cycliste amateur, continue Michaël Perruchoud. Puis je me suis éloigné du sport, méprisé par le monde littéraire, alors qu’il s’agit d’une culture comme une autre. Les résultats seuls ne sont pas intéressants, bien sûr, mais ce qu’ils disent est passionnant. Si on ne connaît rien à un sport, on ne voit rien; mais pour moi, une course cycliste raconte une histoire, j’y lis la stratégie, les relations d’équipe, les enjeux.»

 

Le feuilleton du Tour de France

 

 

Créé par le journal L’Auto afin de faire de l’audience et augmenter ses ventes, le Tour de France a été pensé d’emblée comme un formidable générateur de récits et de suspense, à la manière d’un feuilleton estival. «Les sportifs des débuts comprenaient très bien les rôles du gentil et du méchant qu’on leur attribuait pour construire une bonne dramaturgie, et jouaient le jeu à merveille, observe Michaël Perruchoud. Malheureusement, avec les chargés de com actuels, ils ne disent plus grand-chose d’intéressant…»

 

 

Lui qui se dit fasciné par le sport à la radio se souvient de la «tension insoutenable» des premiers Tours de France, et de sa déception quand il passe à l’image. Le texte, quant à lui, a toujours un bel avenir, se réjouit-il. Dans le sillage de l’écrivain Antoine Blondin, dont les chroniques sur le Tour de France ont contribué à en forger la légende, les journalistes sportifs ont retrouvé une verve épique. «Le magazine So foot parle de sport autrement, en racontant des histoires, entre anecdotes humaines et grands récits.» APD

 

https://lecourrier.ch/2018/06/28/eloge-de-la-sueur/