Du 28 au 31 mai à Genève, la Fureur de lire accueillera plus de quatre-vingts invités, dont le collectif Bern ist überall, le grand écrivain argentin Alan Pauls, l’écrivain romand Max Lobe, ou encore l’auteure française Marie Darrieussecq.

 

Changement de décor, de dates et de concept: en reprenant le mandat de la Fureur de lire jusque-là assumé par la Ville de Genève, la Maison de Rousseau et de la littérature (MRL) était bien décidée à lui imprimer sa marque. Elle a transformé le traditionnel rendez-vous biennal de fin septembre à la Maison communale de Plainpalais, qui proposait rencontres et débats autour d’un thème central, en une manifestation qui déroule plusieurs fils rouges, occupe une pléthore de lieux plus ou moins insolites de la vieille-ville, et mêle écrivains connus et débutants, suisses et étrangers, lors de rencontres privilégiant le texte et le plaisir de la lecture. Elaborée par la directrice de la MRL Aurélia Cochet et la programmatrice Nathalie Garbely, le menu de cette première édition, qui aura lieu du 28 au 31 mai, fait le pari de satisfaire autant les mordus de littérature que les lecteurs occasionnels. Tour d’horizon.

La Fureur de lire prend un nouveau visage. Quels choix ont présidé à cette mue?

Nathalie Garbely: Nous avons voulu donner notre couleur à la Fureur, même si elle s’élabore toujours en collaboration avec les Bibliothèques municipales et le Cercle de la librairie et de l’édition. Le mandat que nous a confié la Ville de Genève, notre principal soutien et partenaire, était clair: organiser un festival grand public et accessible. Les lecteurs exigeants y trouveront leur compte, mais ceux qui lisent moins se laisseront aussi embarquer, par d’autres chemins, dans le plaisir des textes: lectures musicales, théâtrales ou bilingues – notamment français-espagnol – toucheront des publics variés.

Nous nous sommes centrées sur la fiction, en croisant trois fils rouges au lieu d’une seule thématique: l’ouverture vers l’ailleurs, un regard autre sur Genève, et des lectures ancrées dans une expérience collective, immédiate, avec des formats plus ludiques ou interactifs – comme le Jukebox littéraire ou la performance de «Partout, Bern ist überall», collectif d’auteurs suisses dont la joyeuse polyphonie clôturera la Fureur.

Des lectures disséminées en vieille-ville ont remplacé le lieu central unique.

La MRL jouera le rôle de lieu central en accueillant la librairie du festival, tandis que les soirées au Théâtre de la Madeleine se poursuivront au bar et que la Fureur de lire s’achèvera dimanche de manière festive à la Salle des Abeilles. Mais nous tenons à l’aspect itinérant du festival, qui contribue à l’ouverture voulue: nous avons resserré les événements sur un périmètre restreint où l’on peut flâner à pied d’un lieu à l’autre, dans l’idée de stimuler la curiosité, ceux qui viennent pour tel grand nom français ou italien pouvant faire un détour pour découvrir tel écrivain romand.

Le lieu joue par ailleurs un rôle dans la rencontre, selon une logique d’illustration ou de contraste: la très digne Société de lecture verra par exemple Alan Pauls évoquer les problèmes financiers de son narrateur et de l’Argentine dans Histoire de l’argent, tandis que les lustres du Musée de la Réforme entendront Charif Majdalani parler de la difficulté de la noblesse libanaise à transmettre son patrimoine; côté illustration, L’Inondation de Raluca Antonescu résonnera dans la citerne du Musée Tavel, et la prose gouailleuse de Paule Mangeat dans le sous-sol d’un bistro...

Votre programmation très éclectique mêle les genres et les formats. Comment l’avez-vous élaborée?

Nous avons choisi les auteurs romands pour leur univers littéraire et selon la poésie des lieux. Genève est au cœur des œuvres de plusieurs invités – intrigues policières, regards historiques ou poésie du quotidien avec Claude Tabarini et Maya White notamment. Le projet Wikitractatus, poème de l’ère 2.0 signé André Ourednik et Juliette Lenoir, accompagne le festival: dans cette encyclopédie interactive, chaque station renvoie à différentes définitions poético-philosophiques et le sens dépend de votre itinéraire. A découvrir lors d’une performance dans les combles du collège Calvin et par une installation dans le réseau des rues de la vieille-ville...

Il était par ailleurs nécessaire de varier les formats pour que le public nous suive sur les quatre jours. Les longues plages de lecture réjouissent un auteur comme Max Lobe, avec son don de conteur, tandis que d’autres dialogueront avec un animateur sur la «fabrique» de leur roman et ses enjeux. Mais dans tous les cas, il y aura un moment de lecture: il est fondamental à nos yeux de faire entendre le texte.

Les comédiens français Hippolyte Girardot et François Cluzet liront respectivement Jack Kerouac et Luis Sepúlveda: une envie de soirées plus spectaculaires?

La soirée d’ouverture donne un reflet de l’impulsion du festival: Sur la Route de Kerouac est un texte rythmique puissant, porté vers l’ailleurs, mis ici en musique par Shani Diluka. Alan Pauls, invité grâce à un partenariat avec les Assises du roman qui se déroulent aux mêmes dates à Lyon, donnait une tonalité latino-américaine à la deuxième soirée: d’où la lecture du Vieux qui lisait des romans d’amour de Sepúlveda, et l’invitation de Patrick Deville qui nous parlera du Mexique de son dernier roman, Viva. Celui-ci a par ailleurs une veine historique, que l’on retrouve dans Le Faussaire, l’espionne et le faiseur de bombes du Bâlois Alex Capus. Le tout forme ainsi une constellation autour de quelques lignes de force.

Pour la dernière soirée, nous nous devions de donner la parole à un écrivain, en l’occurrence une écrivaine: Marie Darrieussecq parlera de Il faut beaucoup aimer les hommes, un tout autre type de littérature pour ce roman centré sur le couple et la société contemporaine.

 

 Drôles de lectures

Dimanche, on aura l’embarras du choix, et il s’agira de tracer son chemin parmi toutes les lectures prévues en parallèle dans divers lieux de la vieille-ville. Foison des textes, richesse des voix et formats inédits, le choix promet d’être difficile! Les programmatrices ont eu à cœur de proposer des formules variées: qu’elles soient musicales, théâtrales, chuchotées, à la limite de la performance ou de la danse, toutes les lectures privilégient le plaisir du texte. Dans ce registre, et même si vous avez déjà pu les entendre lors d’une précédente tournée, ne manquez sous aucun prétexte deux performances réjouissantes et toujours différentes, celles du Jukebox littéraire et du collectif «Bern ist überall».

Concept original de David Lescot, le Jukebox littéraire est proposé en Suisse depuis 2010 par Odile Cornuz et Antoinette Rychner (qu’on aura entendu parler plus tôt de son roman Le Prix, lauréat du Dentan 2015). Muni d’un jeton, chaque membre du public pourra proposer un mot de son choix pour enclencher un Jukebox vivant, composé des deux écrivaines et d’auteurs invités pour l’occasion. Dimanche, ce seront Marie-Jeanne Urech et Max Lobe qui se prêteront au jeu. Leur humour et leur fantaisie promettent de belles envolées, suscitées par les impulsions du public. A vous de jouer!

Une scène pour les mots, tel est le credo de «Partout, Bern ist überall». Le collectif réunit des écrivains et des musiciens de toute la Suisse, qui se produisent dans des formules chaque fois différentes mais d’au moins trois écrivains et un musicien. Ecrits pour la scène, leurs textes scandés déploient leur rythme et leur musicalité, jouant avec les mots et la musique dans des performances polyphoniques bourrées d’humour. Dimanche à Genève seront présents les écrivains romands Laurence Boissier et Antoine Jaccoud, aux côtés de l’Alémanique Gerhard Meister, accompagnés par le contrebassiste Michael Pfeuti. Régal assuré.

 

Quelques points forts

Enfants et ados. La Fureur de lire fait la part belle au jeune public avec notamment:

• «Animal Bazar», un livre à voir et à écouter, avec Irène Schoch.

• Des ateliers d’illustration donnés par Elodie Nouhen,

Laëtitia Devernay, ou encore Laurent Corvaisier.

• Le vernissage de l’album Tu grimpes drôlement bien aux arbres! de Silvia Härri, illustré par Cristina Pieropan.

• Des contes d’ici et d’ailleurs racontés par Deirdre Foster.

• Un «Carnet de bal», leporello dessiné par Mirjana Farkas, et... dansé par Madeleine Piguet Raykov.

• «Abaton, au-delà de la peur», lecture «inquiétante» pour les ados à suivre dans différents lieux de la ville.

Poésie. Des «Consultations poétiques» sont données par l’équipe de poètes-médecins du Théâtre Am Stram Gram pour soigner les bobos du corps et de l’âme; on écoutera également le poète italophone Daniele Morresi parler avec son traducteur Luc Hamzavi des Douceurs de Bagdad.

Zoom sur la traduction. Le rôle essentiel des traducteurs n’est pas oublié.

• Luba Jurgenson décrit, dans Au lieu du péril, le va-et-vient d’une personne bilingue entre russe et français, et dialoguera de son expérience avec Gervaise Tassis.

• L’Italien Filippo d’Angelo dialoguera avec Christophe Mileschi, traducteur de son roman La Fin de l’autre monde.

 

Du 28 au 31 mai, programme complet: www.fureurdelire.ch

http://www.lecourrier.ch/130174/le_plaisir_du_texte_avant_tout