PROCHE-ORIENT Huit écrivains sont partis à Ramallah en signe de solidarité avec leurs homologues du Proche-Orient. Chacun a écrit un texte qui témoigne de la situation palestinienne. 

 

«La responsabilité envers la destinée humaine ne peut limiter son expression au texte littéraire. Dans des situations d’urgence et de calamité humaine, l’écrivain se met en quête d’un rôle moral à jouer dans d’autres formes d’action publique, un rôle qui renforce son intégrité littéraire, qui mobilise la conscience publique autour de valeurs morales élevées, dont la plus importante est la liberté.» C’est par ces mots que l’un des plus grands poètes arabes, le Palestinien Mahmoud Darwich, a accueilli la délégation de huit écrivains venue le trouver le 25 mars 2002 au Centre Sakakini de Ramallah. Huit auteurs ont en effet répondu à l’appel du poète, l’un des membres fondateurs du Parlement international des écrivains (PIE), pris au piège dans la ville de Ramallah. 

Avant leur départ, lors du Salon du Livre de Paris, l’écrivain américain et président du PIE Russell Banks déclarait faire le voyage pour «témoigner sur une partie du monde qui a subi une déformation cruelle par la langue pour s’adapter aux besoins des politiciens. Au retour, nous parlerons la langue des poètes, celle des romanciers et des conteurs, pour dire ce que nous avons vu.»

 

UN AUTRE LANGAGE 

Mission accomplie. C’est ce qui frappe, dans les textes rédigés par les écrivains de la délégation à leur retour de Ramallah, lisibles sur le site Internet du PIE 1: l’image qu’ils donnent de la Palestine contraste avec celle que véhiculent les médias. Leurs analyses, leurs impressions et leurs points de vue sont loin des phrases sèchement informatives, des chiffres et des formules creuses, des déclarations politiques qui servent habituellement à décrire les évènements au Proche-Orient. Loin de cette rhétorique qui n’a plus de lien avec la réalité et se vide de sens au fur et à mesure de l’avancée des bulldozers israéliens. Chacun, avec distance, intelligence et honnêteté, a trouvé des mots qui «parlent» à nouveau pour décrire la situation. La vie en Palestine prend corps et forme, cesse d’être une abstraction chiffrée. C’est le langage de ceux qui appartiennent à la «tribu de la sensibilité», dixit le prix Nobel portugais Jose Saramago. 

Russell Banks raconte ainsi sa rencontre avec des «refuzniks», ces Israéliens qui refusent de servir dans les territoires occupés. Le prix Nobel nigérian Wole Soyinka, dont le langage justement a réussi à créer une alternative aux moments les plus sombres de la dictature de son pays, trace un parallèle entre la situation au Proche-Orient et la légende d’Ulysse et du Cyclope. Le français Christian Salmon s’interroge sur le devenir et le pouvoir du langage dans un pays dépossédé de son histoire au nom d’une autre histoire (lire ci-après). 

Dans sa «Lettre ouverte au général Sharon», l’écrivain et poète sud-africain Breyten Breytenbach exprime son dégoût de la politique de Sharon, et analyse ses mécanismes. Faisaient également partie de la délégation l’écrivain espagnol Juan Goytisolo, l’Italien Vincente Consolo et le poète dissident chinois Bei Dao.

 

CENTRE CULTUREL DÉTRUIT 

Le 13 avril 2002, deux jours après leur départ de Ramallah, l’armée israélienne a entièrement détruit le Centre Sakakini où Mahmoud Darwish avait accueilli la délégation et avait son bureau. Dirigé par Adila Laidi, une jeune intellectuelle algérienne qui en avait fait l’un des phares de la vie culturelle à Ramallah, le Centre abritait le siège de la revue Al Karmel, des oeuvres d’art de grand prix, des manuscrits anciens (ceux de Khalil Sakakini). Aujourd’hui, il continue malgré tout de travailler clandestinement en rassemblant et diffusant des témoignages sur les viols, les exécutions sommaires et les pillages dont sont victimes les Palestiniens. Ces documents sont accessibles sur le site du PIE, qui comporte également des liens avec des pétitions israéliennes et palestiniennes, ainsi qu’un manifeste d’intellectuels juifs intitulé «Sharon est le pire ennemi d’Israël». 

 

www.autodafe.org

http://www.lecourrier.ch/la_vie_au_temps_de_la_deuxieme_intifada