TYPOGRAPHIE - Roger Chatelain consacre un très beau livre à l'écriture, architecture des signes et miroir d'une culture: «Rencontres typographiques».

 

Sujet oblige, l'ouvrage est un objet magnifique. Grand format, papier glacé qu'on a envie de caresser, originalité de la composition, mise en page épurée qui joue avec le blanc autant qu'avec le texte et les signes graphiques: Rencontres typographiques confirme de belle manière que les mots, en dehors de leur sens, sont aussi des images, le lecteur gardant dans sa mémoire visuelle le schéma traditionnel de chaque lettre.

Typographe de formation et passionné des lettres et de l'écriture, Roger Chatelain signe un livre qui s'adresse autant au lecteur curieux qu'aux graphistes, typographes et polygraphes professionnels. Auteur de nombreux ouvrages sur la typographie et collaborateur de plusieurs revues professionnelles, l'auteur a enseigné pendant vingt-cinq ans à l'Ecole romande d'arts et de communication de Lausanne (Eracom, anciennement Ecole romande des arts graphiques), éditrice de ses Rencontres.

 

LA RÉVOLUTION SUISSE

Impossible de faire le tour de la somme de connaissances partagées par l'auteur. Anecdotes, histoire des polices de caractères, grandes figures de la typographie de Jan Tschichold à Adrian Frutiger, liens entre l'évolution de la typo et l'Histoire, différentes écoles et figures majeures de l'art typographique s'égrènent au fil des pages.

Roger Chatelain rappelle d'abord que la Suisse fut le berceau de la «nouvelle typographie», issue des travaux du Bauhaus. Figure de proue de cette tendance, l'Allemand Jan Tschichold fuyant la montée du nazisme trouve refuge à Bâle. Il y développe ses théories, avant de revenir à une idée plus classique de la typographie. Influencés par son école, les typographes suisses alémaniques vont diffuser en Europe une typo fondée sur des caractères Linéales, sans empattements, sobres et fonctionnels. Un style contesté par les Français, attachés aux lettres classiques latines, qui voient d'un mauvais oeil son origine germanique. «Parce que nous avions des meubles en tube et des maisons cubes, il fallait un alphabet squelette», ironisait ainsi le Français Maximilien Vox en 1965.

 

LA TYPO DOIT ÊTRE INVISIBLE

Mais en dehors de ces querelles d'écoles, lisibilité et limpidité doivent primer. Comme le formulait Maximilien Vox, «la fonction d'un caractère est de véhiculer sans à-coups le message de celui qui écrit à celui qui lit». Même discours chez l'Anglais Stanley Morison, écrivain, maquettiste et dessinateur de caractères de la première moitié du XXe siècle, dont le nom est associé au caractère Times New Roman. La typographie doit être «transparente comme le cristal», soucieuse de clarté plus utilitaire qu'esthétique.

Billets de banque, passeports, affiches contemporaines, travail de Roger Pfund, apports de Blaise Cendrars, de Le Corbusier ou de la calligraphie arabe... Roger Chatelain se promène dans le monde des lettres et trace des parallèles entre le poète, l'affichiste et l'architecte. L'auteur consacre également un chapitre au Suisse Adrian Frutiger, célèbre «sculpteur de blancs». En humaniste convaincu que l'écriture est le reflet d'une culture et d'une civilisation, Frutiger s'adresse à ce qu'il y a de plus profond chez l'homme, explorant le signe sous toutes ses formes et étudiant la réaction du lecteur. On lui doit de nombreuses polices – Méridien, Univers, ou... Frutiger – ainsi que la signalétique du métro parisien et de l'aéroport Charles-de-Gaulle à Roissy.

Roger Chatelain revient aussi sur l'histoire du Guide du typographe, dont il a supervisé les trois dernières éditions. Créé en 1943, le Guide fixe les règles orthographiques et typographiques là où prévalait un joyeux désordre. En 1972, Bertil Galland relève que ce sont les typos et non les universitaires qui ont codifié la langue en Suisse romande, en créant ce «Larousse», ce «dictionnaire de l'Académie», cette «bible de la culture écrite en Suisse romande». Un Guide qui va rapidement traverser les frontières pour s'imposer en francophonie.

 

DU PLOMB À L'ORDINATEUR

Aujourd'hui, l'évolution fulgurante de la technologie a révolutionné le métier. La dernière partie des Rencontres typographiques, «Regards d'aujourd'hui», montre les travaux de jeunes graphistes, où se mêlent influences du passé et nouvelles pistes, notamment l'ouverture vers le multimédia. Témoin de cette évolution, Roger Chatelain livre ici sa vision du beau et de l'équilibre dans un esprit qui transcende les transformations techniques. Même sous de nouvelles formes, la typo a encore de beaux jours devant elle

 

Roger Châtelain, Rencontres typographiques, éd. Ecole romande d'arts et de communication, 2003, 339 pp.

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