SALON DU LIVRE AFRICAIN - L'Afrique est à l'honneur au Salon du livre de Genève. Un continent où, malgré la production reconnue de grand auteurs, le livre se heurte à l'analphabétisme – conséquence de systèmes éducatifs en chute libre hérités des colonies. Pour l'historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo, le livre et l'éducation peuvent pourtant aider l'Afrique à retrouver sa mémoire et à se construire une identité propre. Loin du misérabilisme à l'occidentale.

 

Le Salon du livre de Genève accueille pour la première fois en 2004 le Salon africain du livre, de la presse et de la culture. Librairies, expositions, débats et conférences permettent au public de faire connaissance avec la situation du livre en Afrique francophone, et de rencontrer des auteurs qui construisent l'identité du continent tout en bouleversant la langue française. Soutenue par la DDC, l'Institut universitaire d'études du développement (IUED), Pro Helvetia et l'Organisation internationale de la francophonie, l'expérience sera reconduite chaque année.

Elle entend aussi débattre de nouvelles formes de coopération entre Europe et Afrique dans le secteur du livre. «Parler du livre en oubliant les contextes politiques et économiques dans lesquels un livre circule ou ne circule pas, ne serait pas lui faire honneur», écrit Isabelle Bourgueil, responsable de la programmation. Cette première édition se décline donc sur le thème Afriques: littératures, politiques et libertés.

Car aujourd'hui, sur ce continent saigné à blanc par des siècles de colonisation et d'esclavage, la corruption de dirigeants soutenus par l'Europe, les exigences de la dette, celles de la Banque mondiale et le pillage des ressources continuent de mettre les populations à genoux. Figure intellectuelle majeure du Burkina Faso, l'historien Joseph Ki-Zerbo était présent mercredi au Salon africain, à l'occasion de la réédition de son livre au titre provocateur A quand l'Afrique?1. Avec un sens certain de la formule, l'intellectuel de 82 ans a tissé des liens entre histoire politique, culture et identité africaines. Un matériau fertile pour aborder ce Salon africain.

 

ÊTRE LE CENTRE DE SOI-MÊME

Selon Joseph Ki-Zerbo, il est urgent pour l'Afrique de retrouver sa mémoire et de se définir elle-même. «La question capitale est: qui sommes-nous? On aura beau lui donner des milliards, l'Afrique n'ira nulle part si elle ne s'est pas autoforgée, autoconstituée. C'est une tâche immense: nous devons être enfin le centre de nous-mêmes plutôt que la périphérie des autres. Etre d'abord une entité pour atteindre l'identité collective.» Et parce que le livre «c'est aussi la lecture, donc l'éducation», il est l'une des conditions majeures du développement de l'Afrique et de la construction de cette identité.

Jospeh Ki-Zerbo estime que trois conditions doivent être remplies pour que l'Afrique puisse enfin «être». La première est son union dans un espace économique viable, réglé par l'égalité des échanges: «Aujourd'hui, en échangeant du coton brut contre des ordinateurs, nous ne contribuons pas à la culture du monde mais à la consommation de la culture de l'autre.» Ses mots sont durs: «Nous sommes des pièces détachées, des pays survivants grâce à la soupe populaire internationale.» Les Africains devraient «renverser le paradigme africain de la désintégration», s'unir pour défendre leurs intérêts communs artificiellement séparés par les barrières coloniales, aujourd'hui psychologiques et géopolitiques. «Nous ne devons pas nous construire au sein de frontières qui ont été décidées en Europe et qui brûlent le corps de l'Afrique. Ce sont des frontières de mort.»

Le salut de l'Afrique selon Ki-Zerbo n'est ni dans la micro-identité du village ou de l'ethnie, ni dans celle de l'identité nationale, tout aussi dangereuse – ces micro-états nationaux ont, selon lui, mené l'Europe aux deux guerres mondiale du XXe siècle. Ki-Zerbo refuse également la macro-identité de la mondialisation («nous ne voulons pas être les OGM culturels de la mondialisation!»). L'identité africaine est pour lui est régionale et sous-régionale.

 

SORTIR DU PIÈGE

Deuxième condition du développement de l'Afrique, la démocratie. Et, pour finir, la formation: aujourd'hui, l'Afrique n'est pas maîtresse du contenu de sa propre éducation. Elle n'a pas son mot à dire sur elle-même: «80% du budget de l'Afrique vient de l'extérieur, 80% des recherches sur l'Afrique se fait hors d'elle, 80% du matériel scolaire vient de l'étranger.» Si le droit à l'éducation est inscrite dans les Constitutions africaines, il n'est souvent mis en oeuvre que par la rétrocession de créances des pays européens: ceux-ci acceptent de renoncer à une partie de la dette à condition que cet argent soit consacré à l'éducation. Les pays africains sont pris en tenaille dans une double dépendance – pour la dette et pour la remise de la dette.

 

TENIR SES PROMESSES

Pour créer cette autre Afrique désirée, il s'agit donc de changer le système en profondeur. Et Ki-Zerbo de fustiger les «développementeurs» occidentaux: «Tout ce qu'ils proposent, c'est la lutte contre la pauvreté», alors que le problème est structurel. «La pauvreté ne tombe pas du ciel. Elle est le résultat d'un processus, une construction sociale, politique et économique.» L'Afrique a maintenant besoin de se rêver et de s'inventer. Ki-Zerbo demande à l'Occident de l'«aider à être elle-même en remplissant ces conditions». Car pour l'instant, le «progrès» qu'il propose ne profite qu'à lui-même... «L'Europe parle de partenariat et poignarde économiquement l'Afrique dans le dos. Il n'y a pas de partenariat possible entre le lièvre et l'éléphant. C'est un mensonge.» A l'Afrique de tracer son propre chemin et de décider de ce qui est souhaitable pour elle.

 

1) Joseph Ki-Zerbo, A quand l'Afrique?, entretiens avec René Holenstein, éd. de l'Aube/éd. d'En Bas, 2003. Réédition en 2004 en format de poche selon les règles du commerce équitable, éd. ibid.

 

Prix Ahmadou Kourouma

Considéré comme l'un des plus grands écrivains africains de langue française, Ahmadou Kourouma a marqué toute une génération par sa satire féroce des régimes totalitaires, son regard critique sur les mouvements issus des indépendances ou sa dénonciation du scandale des enfants-soldats. Ses romans innovent également du point de vue de la langue. Kourouma traduit en français le malinké, sa langue natale, et joue avec la langue française pour restituer le rythme africain. A lire: Les Soleils des indépendances (1970), Monnè, outrages et défis (1990), En attendant le vote des bêtes sauvages (1998), et Allah n'est pas obligé (prix Renaudot 2000).

 

Une nouvelle association pour soutenir l'édition scolaire au Burkina

Donner des livres, c'est bien. Aider à les produire sur place, c'est encore mieux!!» Originaire du Burkina Faso et résidant à Genève depuis 2000, Parfait Bayala est l'initiateur de l'Association pour l'édition didactique africaine locale (EDiAL), fondée au mois de mars dernier. «Nous voulons soutenir un travail qui est déjà en train de se faire», explique-t-il devant son stand au Salon du livre africain. Concrètement, EDiAL se propose de développer l'association Faso Livres, éditrice de livres scolaires adaptés aux programmes d'enseignement locaux et aux besoins des élèves et enseignants. Ses membres sont des professeurs locaux ou des bénévoles. Sans aucune aide ni subvention, Faso Livres produit annuellement entre 30 et 40 000 livres toutes matières confondues, de l'enseignement primaire au secondaire. Elle a publié plus de 40 titres en 2003, sous forme de brochures vendues à des prix accessibles à la plupart des ménages. «Nous commençons par l'édition scolaire: pour éditer de la littérature, encore faut-il que les gens sachent lire! De plus, les manuels scolaires se vendent, ce qui pourrait permettre de prendre le risque d'éditer ensuite de la littérature», explique Parfait Bayala. Lui-même a été instituteur au Burkina et a travaillé à Faso Livres, avant de suivre des études à l'IUED de Genève. Où il a rédigé son mémoire de fin d'études sur... un projet d'édition scolaire au Burkina Faso. CADEAUX ENCOMBRANTS La situation du Burkina en matière de formation et de politique du livre ressemble de fait à celle de tout le continent: globalement, le niveau d'éducation a baissé depuis les indépendances. Absence de réformes scolaires axées sur les réalités locales, classes surpeuplées, déficit de formation des enseignants, manque endémique de matériel et de moyens pédagogiques adéquats, telles sont les conséquences d'une structure sociale et administrative héritée des colonies. Le système éducatif se montre incapable de prendre en compte les spécificités, les ressources et la culture locales, et l'Etat se désintéresse d'un secteur qui ne procure pas de profits immédiats: une passivité révélatrice de son «insouciance» face au problème de l'édition, de l'enseignement et de la culture, dénonce Parfait Bayala. DU FASCICULE AU LIVRE Pour lui, le développement ne peut pourtant venir que de l'intérieur et passe par l'éducation – le livre. Mais la quasi-totalité de l'édition scolaire francophone est l'affaire d'éditeurs français, et leur lobby entend bien préserver ce marché. «Il n'existe aucune maison d'édition digne de ce nom au Burkina. Il y a des imprimeurs qui s'autoproclament éditeurs et quelques filiales de maisons étrangères», explique le jeune homme. Autre frein au développement de l'éducation et d'une pédagogie propre aux pays africains, le bien intentionné «don de livres». «Inutiles et encombrants», chers et inadaptés, pour Parfait Bayala ces livres «ne résolvent pas le problème de l'édition dans nos pays». EDiAL veut donc favoriser l'instruction et l'émergence de compétences locales, pour répondre aux véritables besoins de la population. Et rêve de créer un pôle d'édition solide au Burkina, puis de s'intéresser aux auteurs des pays voisins. Dans l'immédiat, pour passer du statut d'éditeur de fascicules à la Ronéo à celui de véritable éditeur de manuels scolaires, Faso Livres a besoin de soutiens – financier, matériel et institutionnel. EDiAL cherche du matériel d'impression, de reliure et de reprographie. Formé à la PAO (publication assistée sur ordinateur), Parfait Bayala se rendra sur place pour partager ses compétences. Quant aux fonds récoltés, ils devraient notamment permettre à Faso Livres de garder la même fourchette de prix pour des livres reliés, au lieu des actuelles brochures agrafées à la main. Rens: www.bailos.net/edial, tél: 022 329 63 46. Mail: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.. Dons: CCP 17-323064-3

 

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