LITTÉRATURE - Les éditions françaises Métailié fêtent leurs 25 ans cet automne 2004. Une belle occasion de donner la parole à l'éditrice Anne-Marie Métailié, alors que notre feuilleton estival débute aujourd'hui avec un roman inédit de la maison.
Je ne publie que les livres dont je tombe amoureuse!» Au téléphone, la voix est chaleureuse. Anne-Marie Métailié, fondatrice et directrice des éditions du même nom, n'a rien perdu de l'énergie avec laquelle elle s'est lancée dans le métier. C'était il y a 25 ans. De coups de coeur littéraires en amitiés et de rencontres en découvertes, les éditions Métailié fêtent cet automne leur premier quart de siècle. Heureux hasard, pour son traditionnel feuilleton estival, Le Courrier a demandé à la petite maison d'édition indépendante de pouvoir publier en avant-première l'un de ses romans. Métailié a proposé Commis d'office, qui paraîtra en septembre (lire ci-dessous).
Editrice de Luis Sepulveda, Jesús Diaz, Horacio Quiroga, Paco Ignacio Taibo II ou encore Agustina Bessa-Lúis, Anne-Marie Métailié emploie aujourd'hui cinq personnes dans le 6e arrondissement parisien, le quartier des éditeurs. Elle raconte avec plaisir les surprises qui colorent le quotidien de la salamandre – symbole des éditions Métailié. «Quand j'étais jeune, la vie était pour moi dans le feu, la passion – comme la salamandre», explique cette femme du sud, née en 1944 à Sidi Bel-Abbes, Algérie.
«JE VEUX ÇA!»
C'est une fonceuse. «Obstinée», dit-elle. Après des études de langues romanes à la Sorbonne, puis Sciences Po, Anne-Marie Métailié travaille à la Maison des sciences de l'homme dans le laboratoire de Pierre Bourdieu. On est en 1979. «Je devais mener une enquête sur «les fonctions de l'éditeur dans le champ intellectuel», explique-t-elle. «J'ai rencontré tous les éditeurs parisiens, et deux personnalités m'ont marquée: Jérôme Lindon, chez Minuit, et Jean-Jacques Pauvert. Ils se reconnaissaient totalement dans ce qu'ils faisaient. Je me suis dit: je veux ça!» Elle n'hésite pas: «Ils me disaient que pour se lancer dans ce métier, il fallait soit avoir de l'argent, soit être de la famille. Mais j'ai rendu mon matériel d'enquête et créé ma maison, après avoir réuni 100 000 francs (français, ndlr) pour éditer les trois premiers livres.»
PREMIERS ROMANS
Dès le début, elle s'entoure de personnes compétentes et comprend que l'important est d'assurer la diffusion. «Pour la fabrication, je pouvais me débrouiller.» Elle construit patiemment un catalogue, se spécialisant dans la littérature sud-américaine, espagnole, portugaise et italienne, qu'elle connaît bien par ses études. Elle a aussi fréquenté les exilés latino-américains pendant sa jeunesse de militante tiers-mondiste, et «beaucoup voyagé au Brésil». Grâce à la qualité de ses choix, la petite maison se fait bientôt une place au soleil. Diffusée par Le Seuil depuis 1991, Métailié édite aujourd'hui une vingtaine de nouveautés par an, plus une quinzaine dans sa collection de poche «Suites». Son fonds compte plus de 500 titres.
Trois quart de ses auteurs sont publiés pour la première fois. «C'est ça qui m'excite!», s'exclame Anne-Marie Métailié. «C'est extraordinaire. Surtout quand vous constatez ensuite que vous pouvez être amis.» Mais elle ne rencontre jamais les auteurs avant de les lire, précise-t-elle. «Ce n'est pas la personne qui m'intéresse, mais ce qu'elle écrit: je ne veux pas être influencée.» Ces premiers romans sont souvent l'oeuvre de jeunes auteurs latino-américains, parfois pas encore édités dans leur propre pays. «Paco Ignacio Taibo II et Luis Sepulveda, devenus des amis, lisent les jeunes de leur pays (le Mexique et le Chili, ndlr) et me conseillent.»
Pour parler de «ses» auteurs, Anne-Marie Métailié utilise affectueusement l'adjectif possessif. «Ils sont ma vraie richesse, le centre de la maison», dit-elle. L'éditrice porte aussi une grande attention à la traduction, qui doit être «capable de restituer la voix de l'auteur. S'il y a un contresens, ce n'est pas grave. C'est la musique qui compte.»
UNE GRANDE FAMILLE
Et si ses choix sont dictés par des coups de coeur, la cohérence n'en est pas absente. Un fil rouge semble lier les romans, fait d'un amour de la narration («Il faut que la littérature raconte une histoire») et d'une sensibilité particulière. «Nous essayons de donner à lire des textes qui défendent certaines valeurs – l'humanisme, le respect.» Sans être pessimistes pour autant: «Un récit doit posséder de l'humour, de l'espoir, dégager un amour de la vie», précise l'éditrice.
Une grande famille humaine et littéraire s'est ainsi formée au fil des publications de Métailié, liée par de fortes affinités. Signe de cette convivialité, pour fêter les 25 ans de la maison ses auteurs lui concoctent des nouvelles inédites autour de la bonne chère. «Je suis une gourmande», confesse Anne-Marie Métailié. «Et on ne parle bien de littérature qu'autour d'une table!» A table! paraîtra donc cet automne.
Si l'enthousiasme d'Anne-Marie Métailié reste intact, c'est que chaque livre est pour son équipe une nouvelle aventure: passionnante et... risquée. Même après 25 ans, c'est toujours difficile. «A chaque publication, je touche du bois. Il suffit qu'un livre marche! Mais ce n'est jamais ceux auxquels on s'attend.» Et de citer l'exemple du Vieux qui lisait des romans d'amour de Luis Sepulveda, qu'elle fut la première à sortir en Europe en 1992. Tiré à 3000 exemplaires, il s'en est vendu 25 000 avant la parution de la première critique, «rien que par le bouche à oreilles!» Toutes éditions confondues, on en est aujourd'hui à un million d'exemplaires... Pour son anniversaire, on ne peut que lui souhaiter que pareille surprise se renouvelle.
Rendez-vous avec notre feuilleton inédit
De juillet à septembre 2004, Le Courrier publie chaque jour un épisode de Commis d'office, premier roman de la Française Hannelore Cayre. Edité dans la collection «Suites» de Métailié, il sortira en librairie le 3 septembre prochain. Pénaliste, l'auteure défend en tant qu'avocate commise d'office le même genre de clients que son personnage Christophe Leibowitz: des émigrés des Balkans. C'est avec cynisme, dans un style rapide et enlevé, qu'elle dépeint ce monde qui lui est familier. Jeune, Christophe Leibowitz imaginait que «l'excellence de [son] âme» lui promettait un avenir radieux. Aujourd'hui revenu de ses illusions, solitaire et désabusé, il confronte les absurdités d'un système pourri qu'il a de plus en plus envie d'envoyer balader. Lorsqu'un collègue le recrute pour des affaires juteuses à la limite de la légalité, il va vite comprendre que ce n'est pas pour ses talents professionnels... Porté par une langue crue, émaillée d'argot, Commis d'office se révèle un roman noir efficace. A déguster tout l'été.
http://www.lecourrier.ch/rencontre_avec_l_editrice_anne_marie_metailie