ÉDITION - Les éditions genevoises Olizane sont révoltées par la méfiance de la Banque cantonale à leur égard, dans une période particulièrement difficile pour les petits éditeurs.

 

Les temps sont durs pour l'édition. Fusion des grands groupes, faillite des distributeurs, fermeture des petites librairies sous la pression de la concurrence... Au centre de la tourmente, les petits éditeurs indépendants, fragilisés, peinent à inspirer confiance aux banques. Ce qui contribue à alimenter le cercle vicieux de la crise. Olizane, la maison d'édition genevoise spécialisée dans les livres et guides de voyage, en a fait l'amère expérience cet été.

Début juin, les éditeurs Sylviane Janin et Matthias Huber demandent une ligne de crédit de 100 000 francs à la Banque cantonale de Genève (BCGe). «Nous sommes clients de la BCGe depuis des années. Nous avons remboursé, avant le délai fixé, un premier prêt de 250 000 francs garanti par la Fondetec, nous explique Sylviane Janin au téléphone. La situation d'Olizane est saine à présent. Nous existons depuis vingt-quatre ans et la réalisation immédiate de notre stock couvre largement le crédit demandé. Notre dossier était solide.»

Pourtant, la BCGe émet une condition à l'octroi du crédit: les deux associés doivent se porter codébiteurs solidaires – c'est-à-dire s'engager personnellement pour garantir le remboursement du crédit. Pour Sylviane Janin et Matthias Huber, c'est inacceptable. Ils refusent. Fin juillet, ils font part de leur colère à Martine Brunschwig-Graf, cheffe du Département genevois des finances, dans un courrier resté pour l'instant sans réponse.

 

BANAL OU «DRASTIQUE»?

De son côté, la BCGe motive sa décision dans une lettre adressée à Sylviane Janin le 19 juillet. La banque se dit consciente des difficultés rencontrées par Olizane, dont le distributeur en France vient de déposer son bilan, et justifie la condition émise à l'octroi du crédit: «Les actionnaires des petites entreprises, de par leurs fortes implications dans la vie de leurs sociétés, jouent un rôle prépondérant, de sorte qu'il est souvent difficile de les en dissocier. (...) Ce qui amène fréquemment les banques à demander qu'ils se portent codébiteurs solidaires des crédits consentis à leurs entreprises, si ces dernières sont exploitées sous la forme d'une société anonyme.»

Joint par téléphone, le porte-parole de la BCGe Nicolas de Saussure confirme que la pratique est courante, «suivant la nature du client et des risques», et notamment lorsque la société «ne peut pas apporter les garanties habituellement requises: assurance-vie, immeuble, hypothèque, dossier de titres, etc. En général, cela ne pose pas de problèmes.»

Autre son de cloche chez le juriste François Membré: «Ce n'est pas usuel, mais plutôt drastique. Cela devrait se faire seulement si la société est en difficulté. La banque pouvait demander d'autres garanties. Cela veut dire qu'elle n'a aucune confiance.»

 

ÉDITEURS SANS SALAIRE

C'est essentiellement cette «confiance à sens unique» qui révolte Sylviane Janin. «Je trouve scandaleux qu'un établissement qui a été sauvé par des deniers publics, donc par l'argent du contribuable, et qui se dit proche des PME, témoigne envers nous d'un tel mépris», nous explique-t-elle.

Sylviane Janin et Matthias Huber ont changé de banque. Et comme le nouvel établissement n'octroiera pas de crédit à un client qu'il ne connaît pas, ce sont des particuliers – des amis et, comble de l'ironie, des auteurs – qui prêteront l'argent nécessaire à la maison d'édition. «Vous croyez qu'ils nous aideraient s'ils n'avaient pas confiance en nous?» En attendant des jours meilleurs, les deux éditeurs se passeront de salaire pendant quelques mois encore.

http://www.lecourrier.ch/une_decision_de_la_bcge_pousse_les_editions_olizane_dans_la_precarite