PERFORMANCES - Ce soir et demain, le Festival Roaratorio de poésie sonore invite des performers d'Europe et d'ailleurs à croiser le fer du langage au Théâtre du Loup à Genève. Alléchant.
Qui connaît les «trobairitz»? Comme leurs collègues masculins, ces femmes troubadours chantaient l'amour et le désir dans la langue d'oc du Moyen Age. Pionnières de la littérature féminine, elles donnent leur nom au 4e Festival Roaratorio de poésie sonore, qui invite ce soir et demain une alléchante brochette de performers – dont une majorité de femmes – à se produire sur la scène du Théâtre du Loup à Genève.
Une 4e édition féministe, donc? «Non, mais nommer le festival «trobairitz» est un clin d'oeil à l'histoire des femmes dans les arts, explique Heike Fiedler, membre de l'association Roaratorio, organisatrice de la manifestation. Elles ont longtemps agi dans l'ombre de la scène publique.» Et si les temps ont changé, tout n'est pas gagné. La preuve: «Nous invitons neuf femmes et seulement trois hommes: cela attire tout de suite l'attention, alors que si la proportion était inversée on ne se poserait pas de questions», remarque la programmatrice.
La conférence sur les trobairitz donnée par Yasmina Foehr-Janssens, professeure à l'Université de Genève, permettra de réfléchir à cette problématique et de découvrir l'inventivité formelle de ces poétesses courageuses (samedi à 18h). Quant aux artistes contemporaines invitées, elles n'abordent pas forcément les questions de genre. Car l'intention du festival est d'abord de «montrer la diversité de la poésie sonore, de la voix pure au traitement électroacoustique», explique Heike Fiedler. Les performances au programme explorent ainsi des pistes très différentes. Exemples.
Textes décomposés
Ce soir, le duo Onophone ouvre le tir: formé par les Autrichiens Rainer Deutner et Werner Nowacek, il propose un travail scénique et ludique sur la parole, à partir d'éléments de la littérature, du théâtre, de la musique et du langage quotidien –dont le dialecte autrichien. Rires garantis.
On retrouvera également Heike Fiedler, aux côtés de Marina Salzmann et d'Alexa Montani dans le trio «pas lundi», qui joue avec la déconstruction du sens et du langage. Chacune compose un texte – en anglais, en français ou en italien. Puis «nous superposons les textes, nous les décomposons et jouons sur les sons dans chaque langue», explique Heike Fiedler. Le multilinguisme permet par ailleurs des variations de rythme. «J'aime beaucoup l'anglais pour son aspect sonore: ses mots souvent monosyllabiques créent un rythme saccadé, comme une percussion.» Et les performances des Genevoises de se détacher de l'écrit: «On lâche le texte pour l'improvisation vocale, on quitte le mot pour son silence», conclut joliment Heike Fiedler.
La musicienne et compositrice américaine Beth Anderson clôturera la soirée, accompagnée par le percussionniste genevois Sylvain Fournier et par Vincent Barras, qui lui donnera la réplique en anglais. Celle qui a étudié avec John Cage, Terry Riley et Robert Ashley en Californie vit aujourd'hui à New York, où elle produit des concerts –notamment pour le New York Women Composers. Pour sa performance genevoise, elle montera des sound pieces, textes écrits très rythmés parfois traités par ordinateur.
Autofictions et jeux d'enfant
Samedi, le Théâtre du Loup accueille la Belge Laura Maes, guitariste de formation, qui explore le son pur. La venue de Chloé Delaume ne manquera pas d'attirer la curiosité. La jeune Française est l'auteure de romans auto-référentiels, parfois basés sur des jeux –vidéo (Sims) ou de société (Cluedo). Son écriture expérimentale construit un univers enfantin réjouissant, renforcé dans ses performances par un travail électroacoustique. Intitulée Je suis la femelle d'O'Blivion, sa performance de samedi s'intéressera aux rapports entre «bio-pouvoir télévisuel et corps féminin». Elle s'inscrit dans un travail plus large, J'habite dans la télévision, qui «porte sur la confrontation des fictions individuelles face au formatage de la fiction collective imposée par la société spectaculaire», dixit l'auteure sur son site www.chloedelaume.net.
Enfin, on découvrira une figure majeure de la poésie électroacoustique, l'Autrichien Jörg Piringer. Son travail poétique est à la fois visuel, sonore et interactif. Il mêle vidéo et sons traités par ordinateur, avec lequel l'artiste dialogue au fil d'impros physiques et vocales.
Ve 28 octobre 2005 dès 20h et sa 29 dès 18h, Théâtre du Loup, 10 ch. de la Gravière, Genève. Rés: 022 301 31 00. www.theatreduloup.ch, www.roaratorio.ch
A lire: «Le Genre de la voix», Revue de sciences humaines Equinoxe, no23, 2003, éd. Georg.
http://www.lecourrier.ch/poesie_sonore_femmes_troubadours_cherchent_poetesses_postmodernes