RADIO - Espace 2, la chaîne culturelle et musicale romande, fête ses 50 ans. Son évolution est liée aux progrès techniques, et son avenir sera numérique.

 

C'était il y a 50 ans. Sur une double page, l'hebdomadaire La Radio annonce fièrement «Le cadeau de Noël des auditeurs suisses: le second programme». Dimanche 16 décembre 1956 à 15h, la deuxième chaîne diffuse sa première émission, dont l'intitulé fait aujourd'hui sourire: «Mosaïque de rythmes, de refrains et de textes proposée par l'équipe des variétés avec la participation de nombreux artistes internationaux qui furent à la radio de Lausanne». La deuxième chaîne est née d'une évolution technique, explique Anne-Marie Rhyn, ajointe de direction d'Espace 2. «Le développement d'un nouveau réseau plus performant, les ondes FM ultra courtes, ont libéré une nouvelle fréquence.» Chaque région linguistique a droit à son second programme. Pour «meubler» ce nouveau réseau d'émetteurs, «on a commencé par rediffuser des programmes déjà existants sur la première chaîne», raconte Doron Allalouf, responsable de la communication interne à la RSR. La chaîne n'émet d'abord que les dimanches et le soir, «déchargeant le premier programme d'émissions qui prennent du temps, comme des concerts ou des dramatiques».

L'idée de départ est de réunir sur ce deuxième canal les programmes culturels au sens large – musique et émissions parlées –, mais il n'est pas tout de suite défini comme une chaîne culturelle. C'est progressivement que des émissions originales voient le jour, et que les moyens investis lui permettent «de prendre son caractère propre jusqu'à être complètement indépendant de la première chaîne», continue Doron Allalouf. En mars 1985, la station prend le nom d'Espace 2. Elle est suivie aujourd'hui par un public fidèle malgré une audience nettement plus confidentielle que La Première: 3,4% de part de marché en 2005 contre près de 41% pour sa grande soeur.

ACTEUR CULTUREL

Dès le départ, «les ondes FM étant synonymes d'une meilleure qualité sonore que les ondes moyennes, le deuxième canal en a profité pour diffuser de la musique, classique surtout», explique Anne-Marie Rhyn. Espace 2 s'articule toujours autour de ces deux axes, musical et culturel – littérature, beaux-arts, cinéma, philosophie, sciences humaines ou histoire. Et réunit ainsi deux domaines qui sont bien distincts sur France Culture et France Musique, avec lesquelles la radio romande entretient des relations de partenariat.

Financée par la redevance, la chaîne remplit une mission de service public. «Notre mandat est de valoriser la scène culturelle romande, de la faire connaître en Suisse mais aussi à l'étranger», explique Pascal Crittin, directeur d'Espace 2. Instigatrice d'événements, elle se profile aussi comme un acteur culturel. Chaque année, plusieurs centaines de milliers de francs vont aux musiciens suisses, orchestres non compris, via les droits de micro versés lors des concerts enregistrés par Espace 2 – une vingtaine sont diffusés chaque semaine, souvent en direct. Si on inclut les ensembles (Orchestre de la Suisse romande, Orchestre de chambre de Lausanne, Contrechamps...), ce sont plus de deux millions de francs de droits qui leur sont versés chaque année.

Bref, Espace 2 entend jouer un rôle de soutien et de promotion de la scène locale. «Avec la mondialisation, on reçoit aujourd'hui des radios du monde entier, relève Anne-Marie Rhyn. Notre légitimité est de parler de ce qui se fait ici. Il y a toujours eu des musiciens suisses sur les ondes, mais il y a une vraie prise de conscience aujourd'hui.» La station n'a pas de quotas, mais avec plus de 25% de musique suisse dans sa programmation «nous sommes bons élèves», continue Anne-Marie Rhyn. Espace 2 pèse un peu moins dans le domaine littéraire. «Nous avons moins de théâtre, donc moins de commandes», reconnaît Mme Rhyn. Reste que la deuxième chaîne réalise des fictions radiophoniques originales, diffuse des lectures de textes d'écrivains romands et de théâtre, organise des rencontres littéraires avec des auteurs suisses et étrangers, se faisant le reflet de la création romande.

SERVICE PUBLIC

La définition de la culture n'est plus la même qu'il y a vingt ou cinquante ans, remarque Pascal Crittin. «Elle ne se réduit plus à ses formes académiques – littérature et sciences humaines –, on peut très bien parler de la culture des banlieues.» La chaîne a pour ambition de se concentrer sur «la culture au sens large: les savoirs et les connaissances de notre monde contemporain, qui offrent des repères pour vivre dans ce monde», et de «montrer en quoi cette culture est actuelle». Délivrée de la pression de l'audimat et des coupures publicitaires obligées, elle peut prendre le temps d'expliquer et de développer ses sujets. Cette liberté «incarne vraiment la mission du service public, le seul à même de s'offrir une telle chaîne», pour Pascal Crittin. «Espace 2 est l'exemple parfait de ce que le service public peut faire avec l'argent des citoyens. Car l'enveloppe financière n'est pas affectée en fonction des résultats quantitatifs, mais qualitatifs. On peut donc se concentrer sur des segments minoritaires (la musique classique ne représente que 4% du marché global des disques), et continuer de jouer sur les plans musical et culturel, ce qui est assez complexe.»

LEGITIMITE MENACEE

Pourtant, son existence est remise en question par certains. La SSR n'a obtenu qu'une hausse réduite de la redevance (de 2,5% au lieu des 6,5% demandés), et la droite prône un «dégraissage» drastique du mammouth, estimant qu'une chaîne de TV et une station de radio publique par région linguistique suffirait amplement à assurer la mission de service public de la SSR. «Une chaîne unique serait forcément généraliste, souligne le directeur d'Espace 2. Il faudrait donc faire passer à la trappe des aspects entiers de la vie culturelle contemporaine.» Et de citer les exemples de la Belgique et du Canada où les chaînes culturelles sont devenues uniquement musicales. «Conséquence: il n'y a plus du tout d'émissions culturelles et littéraires, ou alors à 23h.» Une perte irrémédiable, d'autant qu'il est «peu probable que le privé s'empare de ces offres culturelles».

Si Pascal Crittin juge ces débats «stimulants», il regrette qu'ils n'aient pas été soulevés avant que la nouvelle loi sur la radio et la télévision (LRTV) ne soit bouclée. «Il faudrait savoir ce qu'on se veut!» C'est que la LRTV, dont l'élaboration a pris sept ans, demande un service public fort. Dans une Suisse divisée en quatre régions linguistiques, c'est une manière «d'éviter qu'elle soit grignotée par les grands pays limitrophes dont elle parle les langues». Cela implique que les structures soient recrées dans les quatre régions linguistiques, ce qui coûte évidemment plus cher qu'une radio et une télévision centralisées. «La loi a été votée par le Parlement. Si on veut une radio et une télévision qui parlent des Suisses aux Suisses, il faut y mettre les moyens. Mais quand on demande une réévaluation de la redevance, on nous dit que cela coûte trop cher», regrette Pascal Crittin.

PEAU DE CHAGRIN

Le 8 décembre, le Conseil fédéral a décidé d'augmenter la redevance radio-TV de 2,5% à compter du 1er avril 2007. SRG SSR demandait 6,5%. Le Conseil fédéral ne lui octroie ainsi que 25 millions de francs des 72 qu'elle avait annoncés au titre de ses besoins financiers supplémentaires.

Quelles conséquences aura cette hausse réduite de la redevance sur la radio, et plus particulièrement sur la mission culturelle du service public? Pour l'heure, la SSR ne peut pas prendre position, explique Daniel Steiner, chargé de communication de la régie publique. Elle attend la lettre du Conseil fédéral «qui donnera l'attribution précise de la redevance entre radio et télévision», explique Pascal Crittin, directeur d'Espace 2. SRG SSR réfléchira ensuite à quoi sera affectée cette hausse plus modeste que prévue et communiquera fin janvier ses premières décisions. «Rien n'a encore été remis en question à ce stade, poursuit Pascal Crittin. Nous verrons quels développements ont été acceptés ou non à ce moment-là.»

La radio étant en pleine révolution technologique, «l'augmentation réduite de la redevance aura peut-être des répercussions sur les projets numériques et multimédias», avance Anne-Marie Rhyn. Le directeur d'Espace 2 rappelle que la SSR est déjà en phase d'économies: la récente loi sur la radio et télévision (LRTV) a imposé de nouvelles contraintes, synonymes de manques à gagner ou de coûts supplémentaires: les personnes au bénéfice d'une aide sociale sont exonérées de la redevance par exemple – «on perd 70 millions par ce biais» –, et les émissions doivent être adaptées pour les malvoyants et malentendants. La LRTV implique par ailleurs des changements d'ordre politique, notamment en ce qui concerne la répartition des fréquences avec les chaînes privées. Les mesures d'austérités semblent donc inévitables. Si l'offre programmatique est garantie pour l'année prochaine, elle risque d'être chamboulée en 2008. APD

MUSIQUES D'AVENIR

En matière de radio, les progrès techniques ont initié de nouvelles manières de travailler, de produire, de concevoir le métier de journaliste. Aujourd'hui, l'avenir de la radio est lié au développement du multimédia, et la diffusion audionumérique (DAB) ouvre de nouvelles perspectives au plus ancien média électronique. «La radio vit un tournant, analyse Pascal Crittin. Les barrières traditionnelles entre les médias tombent. Comment exister dans un monde où le son cohabite avec les textes et les images? Cela implique une redéfinition des métiers.»

Plusieurs révolutions vont marquer ces prochaines années. Le DAB existe déjà, et sera étendu à toute la Suisse romande mi-2008. Il offre une meilleure réception, exempte de parasites, et permet un plus grand choix de programmes puisqu'un bouquet de DAB propose dix à vingt chaînes. Il rend possible d'écouter une émission en différé, ou de réécouter l'information via la touche «rewind». Grâce au développement du DMB (Digital Multimedial Broadcasting), le programme sonore peut être enrichi d'informations textes et images – titre et nom des interprètes, indications sur les concerts, photos, films. «Ces supports viendront compléter les informations sonores», explique Anne-Marie Rhyn. «Notre organisation interne va changer et cela va aussi transformer la politique de rediffusion.»

UNE AUTRE MANIERE D'ECOUTER 

Car «l'éclatement des modes de distribution va modifier la manière dont on consomme la radio», s'enthousiasme Pascal Crittin. Le direct et la proximité prendront moins d'importance. «Il y aura d'un côté la radio linéaire, en flux, telle qu'on l'a toujours connue: elle ne va pas disparaître car il y aura toujours besoin du direct et de l'actualité. La mission première de la radio est d'accompagner: l'auditeur doit pouvoir appuyer sur le bouton et entendre un programme.» Mais en parallèle va se développer l'écoute à la carte: l'auditeur peut écouter ce qu'il veut, quand il veut. «Il faudra intégrer cette notion dans la manière de fabriquer de la radio, c'est-à-dire imaginer des contenus plus atemporels, qui peuvent être écoutés n'importe quand», explique Pascal Crittin.

Cette manière d'écouter existe déjà. Lancé il y a un an, le podcasting (téléchargement de musique ou d'émissions sur Internet, ndlr) marche très bien: il totalise 400 000 connections par mois. «Avec 140 000 téléchargements en une semaine, Mozart a fait exploser nos serveurs», ajoute Anne-Marie Rhyn. Le podcasting va encore se développer avec l'essor du multimédia, «qui impliquera aussi de stocker ces contenus, ou encore la participation de l'auditeur...» Une révolution culturelle est en route, qui est aujourd'hui au coeur des discussions au sein de la SSR. 

 

Lire aussi la contribution de Roderic Mounir http://www.lecourrier.ch/histoire_d_ondes