FRANCOPHONIE - Du 26 au 28 mai, le festival «Etonnants Voyageurs» de Saint-Malo s'interroge sur les enjeux d'une «littérature-monde en français», titre du Manifeste signé par 44 écrivains et d'un livre qui vient de sortir.

 

«Personne ne parle le francophone, ni même écrit en francophone. La francophonie est de la lumière d'étoile morte, la nostalgie d'un temps où la France se présentait comme un flambeau déversant ses lueurs sur le monde.» Paru dans Le Monde des livres du 15 mars 2007 dernier, le «Manifeste pour une littérature-monde en français» a fait couler beaucoup d'encre. A l'initiative de Jean Rouaud et Michel Le Bris, ses quarante-quatre signataires y proclamaient la mort de la francophonie, perçue comme le dernier avatar du colonialisme.

Michel Le Bris, qui dirige aussi le festival Etonnants Voyageurs, a décidé d'en faire le thème de cette 18e édition. Ce week-end, à Saint-Malo, la «littérature-monde» ravit donc la vedette au thème des «villes-mondes» initialement prévu. Autres initiatives: sous la houlette de Michel Le Bris et Jean Rouaud, vingt-sept contributions ont été rassemblées dans le livre «Pour une littérature-monde», sorti hier chez Gallimard; et dimanche, dans le cadre du festival, sera mise en place la Convention de Saint-Malo – un regroupement de trente écrivains qui entend donner davantage de résonance au mouvement par la publication d'une revue annuelle et la remise d'un prix de printemps.

Il s'agit donc d'en finir avec une centralisation jugée paternaliste. Prenant acte de la distribution des prix littéraires de l'automne à des «écrivains venus d'ailleurs», les auteurs du manifeste y voient le signe d'une révolution: «Le centre, ce point depuis lequel était supposée rayonner une littérature franco-française, n'est plus le centre», écrivent-ils. Désormais, toutes les littératures doivent être mises sur pied d'égalité, au sein d'une vaste et mouvante constellation. Car s'il est évident que la France n'a pas l'exclusive propriété du français, un blocage culturel demeure, selon l'intellectuel camerounais Achille Mbembe: «Le français en France a toujours été pensé en relation à une géographie imaginaire qui donnait à ce pays l'illusion d'être le 'centre du monde'», écrit-il sur le blog d'Alain Mabanckou (Prix Renaudot 2006 pour Mémoires de porc-épic). Le manifeste déplore cette étroitesse d'esprit: «Comment a-t-on pu ignorer pendant des décennies un Nicolas Bouvier et son si bien nommé Usage du monde? Parce que le monde, alors, se trouvait interdit de séjour.» Les signataires estiment qu'il est temps de reléguer le centre au milieu d'autres centres, afin de voir émerger une «langue libérée de son pacte exclusif avec la nation, libre désormais de tout pouvoir autre que ceux de la poésie et de l'imaginaire, et n'ayant pour frontières que celles de l'esprit».

Secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie, Abdou Diouf estime quant à lui que le manifeste confond «francocentrisme et francophonie». Pour l'ex-président du Sénégal, ses auteurs se posent «en fossoyeurs de la francophonie (...) en redonnant vigueur à des poncifs qui décidément ont la vie dure». Quoiqu'il en soit, le débat devrait toucher les auteurs romands – pour l'heure, seul Michel Layaz, qui vit à Lausanne et Paris, a signé le manifeste. 

Les contributions des écrivains Abdourahman A. Waberi et Eugène Ebodé complètent cet article, voir http://www.lecourrier.ch/paris_n_est_plus_le_centre