VIRTUEL Spécialisé dans les littératures de l'imaginaire, utopod est le «premier podcast alternatif indépendant» en Suisse romande. Entretien avec Lucas Moreno, l'un de ses concepteurs.

 


«Philippe Curval n'est pas seulement chroniqueur au Magazine littéraire, c'est un pilier de la science-fiction française. Quant à Joël Champetier, c'est l'un des dieux du genre au Québec!» s'enthousiasme Lucas Moreno, fier de proposer les nouvelles de ces deux chefs de file de la science-fiction (SF) sur utopod, le «podcast francophone des littératures de l'imaginaire» qu'il a lancé en mars 2007 avec Marc Tiefenauer. «Le principe est simple: nous sélectionnons des nouvelles de science-fiction, de fantastique et de fantasy; nous en faisons un enregistrement à voix haute puis nous les livrons gratuitement sous forme de podcast.» Quelques mois après sa naissance, utopod est riche de quinze émissions et offre des textes d'écrivains aussi réputés que Johan Eliot, Jean-Pierre Andrevon, Xavier Mauméjean, Ugo Bellagamba ou Catherine Dufour.

 

PLATE-FORME PROFESSIONNELLE

 

Auteurs de nombreux romans et nouvelles, lauréats de prix littéraires de science-fiction ou de fantastique, tous ont accepté de soutenir la démarche sans être payés, en donnant des textes inédits ou libres de droit. Utopod est soumis aux conditions d'utilisation d'une licence Creative Commons: inspirée par les licences de logiciels libres et le mouvement open source, elle protège les droits des auteurs et permet une grande diffusion. «Nous voulions répandre ces idées novatrices dans le public francophone», explique Lucas Moreno. Mais les auteurs y trouvent aussi leur compte, utopod leur offrant un double moyen de diffusion: «Une belle mise en voix de leur texte diffusé via le podcast, et la mise à disposition, sur notre site, d'informations sur leurs oeuvres.» Par ailleurs, les fondateurs du podcast espèrent à terme pouvoir rémunérer les écrivains et les comédiens qui lisent leurs textes, grâce à des sponsors.

C'est que les deux Romands visent un véritable professionnalisme. Ils ne font pas d'appels à textes mais choisissent eux-mêmes auteurs et comédiens. Et si utopod a démarré avec des écrivains reconnus afin de gagner une crédibilité, son objectif est aussi de proposer un espace aux auteurs qui débutent, «si leurs textes sont de qualité: nous voulons jouer un vrai rôle d'éditeur et n'hésiterons pas à leur demander de réécrire leurs nouvelles s'il le faut. Pas question de fonctionner sur le copinage.»

S'ils ont décidé d'offrir aux jeunes auteurs cette «nouvelle plate-forme professionnelle», c'est en réponse à la frilosité du monde éditorial francophone: «Alors que beaucoup de jeunes écrivains se lancent dans l'écriture par des textes courts, revues, recueils et anthologies sont trop rares», note Lucas Moreno, lui-même auteur de nouvelles de SF et de fantastique publiées dans des revues françaises. Utopod se veut donc complémentaire à l'édition papier, et est destiné en priorité aux plumes francophones.

 

GENRES MARGINALISES

 

Son site propose aussi une foule de liens vers des revues et maisons d'édition spécialisées dans les littératures de l'imaginaire. Car l'autre objectif des deux amis est de faire connaître leurs genres préférés: la science-fiction, le fantastique et la fantasy bien sûr, mais aussi l'étrange, l'horreur ou le réalisme magique. Le podcast est «le média roi» pour ces textes marginalisés dans la production éditoriale actuelle. «Beaucoup de gens croient qu'ils n'aiment pas la science-fiction, sans s'apercevoir qu'elle contamine le réel depuis longtemps et que son esprit imprègne la pub, le cinéma et la télévision», relève Lucas Moreno.

Lui voit dans la SF un outil pour explorer une société de plus en plus transformée par la technologie: «De nouveaux thèmes apparaissent chez les auteurs, qui interrogent le rapport de l'être humain à la réalité virtuelle, le clonage, etc. La SF est un questionnement sur nous-mêmes, hier, aujourd'hui et dans le futur, et une manière de réfléchir de façon non théorique à ces enjeux, en les mettant en fiction.» Marc Tiefenauer et Lucas Moreno veillent donc à proposer une diversité de styles et de thèmes, et cherchent également à publier des plumes féminines afin de faire mentir le cliché qui veut que le genre soit l'apanage des hommes. Le prochain texte, La Bulle d'Euze, est d'ailleurs signé Sylvie Lainé, une «grande figure de la SF féminine francophone». A découvrir courant janvier sur utopod.

Pour s’abonner gratuitement à utopod, on s’inscrit à partir du logiciel libre iTunes ou de n’importe quel autre agrégateur de son choix. Plus d’infos sur www.utopod.com
Science-fiction: le monde décrit n’existe pas, mais il est cohérent et rationnel.
Fantastique: l’étrange fait irruption dans la vie quotidienne (voir Poe ou Maupassant).
Fantasy: l’univers entier du roman fait partie du domaine du merveilleux.

 

La révolution du podcast

Le terme podcast est une contraction des termes iPod et broadcast (diffusion). Lancée en 2004 aux Etats-Unis, cette technologie est basée sur un système de flux, qui permet d'écouter ou de visionner des contenus audio et vidéo téléchargés sur Internet. En s'abonnant gratuitement à un canal, l'utilisateur reçoit automatiquement les nouveaux contenus sur son ordinateur, sans devoir passer par le site d'origine. Il peut ensuite écouter émissions ou épisodes sur son ordinateur, ou les transférer sur un baladeur numérique.

Ainsi «le site internet d'utopod existe seulement afin de donner des compléments d'informations et pour des raisons esthétiques», précise Lucas Moreno, coproducteur du podcast. «L'idée est que les gens s'abonnent à notre flux. C'est beaucoup plus pratique: une fois l'épisode téléchargé, on peut l'écouter n'importe quand, et sans les coupures parfois occasionnées par un serveur surchargé. Par ailleurs, cela nous soutient dans notre démarche: plus nous aurons d'abonnés, plus nous pourrons intéresser les sponsors.» Pour l'heure, utopod approche les 1500 écoutes en moyenne par émission. Et ses concepteurs lorgnent avec envie vers Escape Pod, dont les textes d'auteurs américains attirent 16 000 abonnés.

C'est qu'aux Etats-Unis, le podcast a explosé dès 2005. «Il existe des milliers de podcasts, et beaucoup proposent des initiatives passionnantes dans tous les domaines – littérature, musique, cinéma, théâtre...», explique Lucas Moreno. «Le podcast est une véritable révolution au niveau de la diffusion internationale de la culture. C'est un outil pratique, gratuit et, surtout, indépendant, qui a permis à des milliers d'artistes de produire et de diffuser leur travail.» Et de rêver que les milieux culturels romands utilisent le podcast pour créer des réseaux de compétences et d'intérêt.

Car pour l'heure, utopod est le premier podcast alternatif indépendant de Suisse romande – il ne dépend d'aucune institution. «Ce qui nous donne une totale liberté éditoriale et créative, relève Lucas Moreno. Et en France, il ne doit pas en exister plus d'une poignée.» Comme la blogosphère, le podcasting offre un large choix d'émissions de qualité variable. D'un côté, il est devenu le média d'amateurs passionnés, au ton souvent impertinent dans la lignée des radios pirates; de l'autre, il est utilisé par les médias traditionnels dans leur évolution vers une diversification des contenus et davantage d'interactivité.

Explosion du format MP3, succès de l'iPod, téléchargement d'émissions via téléphone mobile, relative simplicité de production et gratuité de l'écoute: le podcasting a tout pour devenir un phénomène médiatique. Pourtant, il ne s'est pas encore vraiment popularisé en Europe. «Les médias et le public romands n'ont pas encore mesuré la véritable ampleur du phénomène du podcast», regrette Lucas Moreno. «Et ceux qui possèdent un iPod et ont accès à iTunes ne font pas toujours le lien non plus.»

http://www.lecourrier.ch/de_la_sf_dans_les_oreilles