ASSISES DU ROMAN «Le roman, quelle invention!»: réunis sous cette exclamation, des écrivains du monde entier réfléchiront aux rapports entre écriture et réalité, du 26 mai au 1er juin à Lyon.


«La réalité n'est pas une donnée objective: elle se forme et se transforme, elle est toujours en train de s'inventer, et le roman joue un grand rôle dans cette invention», relève Guy Walter. Le directeur de la Villa Gillet et des Subsistances1, à Lyon, s'apprête à accueillir la cinquantaine d'écrivains du monde entier invités du 26 mai au 1er juin prochains à participer aux 2e Assises internationales du roman. Organisé conjointement par la Villa Gillet et l'équipe du Monde des livres, ce rendez-vous se décline cette année sous le vaste thème «Le roman, quelle invention!» Un point d'exclamation qui sonne comme un manifeste: «Le roman nous surprend car il est polymorphe, et ne cesse d'inventer des formes singulières pour dire notre temps», s'enthousiasme Guy Walter. Pendant sept jours, donc, écrivains mais aussi critiques et lecteurs réfléchiront ensemble à ce dialogue incessant entre roman et réalité, exploreront leur perméabilité et la manière dont ils se transforment mutuellement.

Exigeant et convivial

L'idée est de créer une communauté «pour entrer dans l'expérience de l'écriture», explique Guy Walter. Ni festival ni salon du livre, les Assises se veulent un rendez-vous convivial au programme exigeant. En gage de qualité, M. Walter souligne que les auteurs ont été invités une fois les thèmes définis, en fonction des questions à aborder. «Nos choix sont dictés uniquement par la logique du contenu, hors de toute actualité éditoriale, sans souci d'équilibre entre les éditeurs: dans une totale liberté.» Une vision qui semble payante: en 2007, le succès public et critique avait été au rendez-vous de la première édition. Aux côtés des Français Leslie Kaplan, Lydie Salvayre, Eric Reinhardt ou Chloé Delaume, de prestigieux écrivains de tous les continents étaient intervenus autour du thème «Roman et réalité» (2).

La cuvée de ce printemps a changé de titre, mais déroule au fond le même fil rouge, qui se déclinera sous différentes facettes au fil de tables rondes et de débats. Si les intitulés des rencontres sont hétéroclites – du «roman puzzle» au «secret des origines», de «tabou et transgression» à «pourquoi tant d'amour?», du «roman de formation» à «s'emparer de la vie des autres» –, la question du langage est toujours au centre, assure Guy Walter.

Ainsi lors de la table ronde intitulée «La fissure géographique», les auteurs se demanderont comment, dans un pays en crise, figurer l'instabilité de l'identité nationale et personnelle par le biais de la fiction: quel langage inventer pour répondre à une réalité instable et hétérogène? (avec le Somalien Nuruddhin Farah, le Québéco-haïtien Dany Laferrière, l'Albanais Fatos Kongoli et la Turque Elif Shafak). Plus tard, sous le titre «La crise, roman de moeurs», on explorera la manière dont le langage cherche de nouveaux modes d'expression dans une société où les repères sont bouleversés (avec notamment l'Indien Tarun Tejpal, le Libanais Rachid El-Daïf et le Français Yannick Haenel).

Relevons également la présence de l'historien Carlo Ginzburg le samedi, qui analysera la façon dont les oeuvres littéraires peuvent influencer la vision d'un historien, l'imagination théorique se nourrissant alors de l'imagination romanesque. Autres points forts: une rencontre avec des écrivains cinéastes (dont la Chinoise Xiaolu Guo et l'Israélien Etgar Keret), ou un débat sur la circulation internationale des oeuvres dans un monde dominé par l'anglais. Enfin, les lectures par les auteurs eux-mêmes ou par des comédiens auront la part belle pendant toute la manifestation.

Temps de réflexion

Les Assises s'ouvrent également largement aux critiques, animateurs des rencontres, qui sont présentés dans le programme au même titre que les écrivains: élaboré avec Le Monde des livres, l'événement leur offre «un temps de réflexion et d'échange, un recul privilégié», remarque Guy Walter. «Les journalistes sont toujours en train de courir après l'actualité; pourtant, si l'on suit ce qu'ils écrivent sur une année, on réalise que chacun a une personnalité critique particulière, cohérente. D'où leur importance aux Assises.» La présence de journalistes étrangers permet par ailleurs d'enrichir le débat en sortant du cénacle français: «La question de la subjectivité, par exemple, ne se pose pas de la même manière pour un critique français, anglais ou coréen.»

Bref, les organisateurs des Assises voient grand, et à long terme. Outre la publication, à l'automne, des interventions des écrivains, un Lexique nomade vient de paraître chez Bourgois, où chaque invité a choisi un mot-clé qui ouvre les portes de son oeuvre. Ce dictionnaire inattendu propose un voyage singulier dans la littérature contemporaine. Et Guy Walter de rêver: «Imaginez, dans dix ans, le nombre d'écrivains qui y auront collaboré...»

 


1 La Villa Gillet est un «laboratoire des formes émergentes» qui s’intéresse à la littérature comme aux sciences humaines et sociales, aux arts vivants, etc.;
Les Subsistances, un lieu d’expérimentation consacré au spectacle vivant .

2 Avec la participation notamment de Russell Banks, Rick Moody, Alaa El Aswany, Pascal Mercier, Peter Stamm, Colum McCann, Enrique Vila-Matas... Leurs interventions ont été publiées chez Christian Bourgois en 2007 (coll. Titres n°64). Les textes des Assises 2008 paraîtront chez Bourgois à l’automne prochain.

Assises internationales du roman.
Du 26 mai au 1er juin2008 à Lyon. Débats, tables rondes, lectures. Rés. obligatoires au 0033 4 78 39 10 02. Programme complet: www.villagillet.net

http://www.lecourrier.ch/a_lyon_on_invente_le_reel