GENÈVE Lundi au Grütli, Dominique Parent lit Céline dans le cadre de l'Inouï-dire, cycle imaginé par Bernard Schlurick et Michel Barras.
Pourquoi les plus grands prosateurs n'ont-ils pas été aussi de géniaux auteurs de théâtre? Proust ou Kafka ne s'y intéressaient pas, Joyce et Musil n'ont pas convaincu lorsqu'ils s'y sont frottés. Serait-ce parce qu'existe déjà, dans leur écriture, une théâtralité latente? C'est à partir de cette hypothèse que Bernard Schlurick, dramaturge associé au Théâtre du Grütli, et le comédien et metteur en scène Michel Barras ont conçu le programme de l'Inouï-dire: un cycle de lectures qui confronte tous les derniers lundis du mois un comédien et un texte «inouï», non écrit pour la scène.
Initiée par Michel Barras dans le but de faire entendre toutes sortes de textes, la première saison, «Théâtre de parole: un soir, une voix», se déroulait au Contretemps. Cette deuxième mouture est accueillie par le Grütli, où depuis septembre dernier neuf comédiens ont dit autant de textes – extraits ou nouvelles complètes – proposés par Bernard Schlurick. Ainsi Frédéric Polier s'est par exemple confronté à Michel Leiris, Jean-Quentin Châtelain à Gombrowicz, Pascal Berney à Claude Simon, Roland Vouilloz à Musil, ou Carlo Brandt à Georges Bataille.
Quant à Michel Barras, il a lu... L'Etre et le néant de Jean-Paul Sartre. L'auteur de La Nausée est «piètre romancier et auteur de théâtre, mais excelle dans ses essais où il invente rien moins qu'un nouveau style philosophique et joue avec la théâtralité des situations», relève Bernard Schlurick, qui éclaire après chaque lecture les enjeux historiques et esthétiques de l'oeuvre lors d'une discussion avec le public. «Celle qui a suivi la lecture de Sartre était passionnante: nous sommes partis de sa réflexion sur le devenir objet dans le regard de l'autre pour ouvrir sur le féminisme et le marxisme...»
La mise en lecture des oeuvres, qui s'est parfois accompagnée de musique, a fait ressortir la théâtralité et la puissance de ces textes, se réjouit Bernard Schlurick. Là est pour lui l'enjeu de ce cycle: remettre le texte et la langue au centre du théâtre contemporain, qui a tendance à oublier leur importance. «Il est difficile de bien écrire pour le théâtre, où les dialogues et les didascalies coupent tout élan; Koltès disait que la puissance du texte est le seul ressort du théâtre, et si ses pièces sont si magnifiquement écrites, c'est justement qu'il ne coupait pas dans ses monologues.»
Lundi prochain, le comédien Dominique Parent, qui a été de toutes les créations de Valère Novarina, lira un extrait de Mort à crédit de Céline, auteur dont la violence des propos est portée par une langue splendide, inventive, qui appelle à être dite. «Qui ne perçoit son assourdissante théâtralité, et le bénéfice qu'il retire à être articulé à haute voix?» écrit Bernard Schlurick.
Pour couronner le cycle, lui-même a tenté de «réconcilier la littérature et le théâtre de scène, que j'adore – c'était un bonheur de jouer dans Déficit de larmes de Maya Bösch.» Il a donc écrit une pièce qui fait la part belle aux choeurs et aux monologues, L'Attracteur étrange, où il est question d'une «épidémie de blancs» qui s'étend à toute la société: les gens oublient ce qu'ils font là, ce qu'ils ont à dire, et le sens des choses... A voir du 17 au 19 juin au Théâtre du Grütli, en attendant la prochaine saison de l'Inouï-dire. I
Dominique Parent lit Céline, lu 31 mai 2010 à 20h30, White Box, Théâtre du Grütli, 16 rue Général-Dufour, Genève. Entrée libre. www.grutli.ch
http://www.lecourrier.ch/des_voix_pour_reveler_la_theatralite_des_grands_romans