Interrogés, la plupart des gens donnent la même réponse: «Les auteurs romands actuels? Non, je n’en connais pas.» Puis ils citent Charles-Ferdinand Ramuz, Jacques Chessex et, depuis l’année dernière, souvent Joël Dicker. Cette confidentialité des écrivains romands dans leur propre région serait-elle en train de changer? Plusieurs signes sont en tout cas encourageants, à commencer par la place que leur réserve le Livre sur les quais, qui se tient ce week-end à Morges.

 

Sur trois cents auteurs invités, ils sont plus de cent cinquante, qui ont tous publié cette année. La manifestation vaudoise, événement phare de la rentrée littéraire depuis quatre ans, leur donne ainsi une visibilité bienvenue. Depuis peu, le Salon du livre de Genève leur porte aussi davantage d’attention. En 2013, son nouvel espace «La Place suisse» proposait quelque deux mille titres d’auteurs de tout le pays ou sur des sujets liés à la Suisse. Un catalogue qui permettra également de promouvoir les plumes helvètes lors des foires internationales.

L’idée n’est pas de «nationaliser» la littérature, ni de prétendre qu’il existe une «spécificité romande» en la matière. La terre des écrivains est avant tout leur langue. Il s’agit simplement de défendre un marché qui a du mal à se rendre visible, coincé entre son grand voisin français et la Suisse alémanique. D’un côté, une difficulté à s’exporter et la présence massive des auteurs de l’Hexagone dans les médias et en librairie (80% des livres); de l’autre, la barrière de la langue: pas facile d’exister pour les centaines d’auteurs de ce petit territoire de moins de 2 millions d’habitants, dont le dynamisme est pourtant exceptionnel!

Le Livre sur les quais et l’évolution du Salon du livre arrivent donc à point nommé pour réparer cette injustice. Mais ces initiatives, qui ont le mérite de mettre en lumière les écrivains romands auprès du grand public, ne surgissent pas de nulle part: elles sont le prolongement d’un long travail de sensibilisation et d’information de la part des acteurs du livre, qui commence à porter ses fruits. Ainsi, c’est par exemple grâce à l’engagement de passionnés – professeurs et écrivains – que les auteurs romands figurent aujourd’hui dans les programmes scolaires du secondaire, même si c’est de manière encore trop marginale. Les séminaires de littérature romande à l’université contribuent aussi à leur reconnaissance, formant des enseignants qui transmettront à leur tour leurs connaissances aux nouvelles générations. Quant au prix Le Roman des Romands, il permet chaque année à des centaines d’élèves du postobligatoire de lire et de rencontrer une dizaine d’auteurs. Dans un contexte de curiosité croissante, les lectures publiques se sont multipliées depuis une dizaine d’années. Enfin, à Genève, la Maison de Rousseau et de la littérature aura pour mission de valoriser les auteurs d’ici, de les mettre en réseau avec leurs pairs à l’échelle nationale et internationale, et d’être un lieu de ressources pour toute personne intéressée par le domaine.

Autant de graines patiemment semées qui ont attisé la curiosité pour un milieu foisonnant et permettent aujourd’hui à des dizaines d’écrivains de surgir sous le feu des projecteurs. Un dernier constat: la relève participe de ce décloisonnement, elle qui publie souvent en France et se frotte à l’ailleurs. Signe d’une mondialité positive qui devrait achever de donner de l’air aux lettres romandes.

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