LIVRES Le palace de Marrakech a décerné son 4e Prix littéraire, initiative entre autopromotion et mise en lumière des auteurs nationaux.

 

 

Rachid O. est le lauréat du 4e Prix littéraire de la Mamounia pour L’Analphabète (Gallimard, 2013). L’auteur de Casablanca, qui réside à Paris, a reçu sa distinction le 28 septembre dernier dans l’un des salons du célèbre palace de Marrakech, lieu de villégiature des stars de cinéma et des politiciens qui fête cette année ses 90 ans. Le «plus bel hôtel urbain du monde» avait invité des journalistes suisses, français, belges, canadiens et espagnols à la remise d’un prix lancé par l’ancien directeur général Didier Picquot il y a quatre ans, au moment de la réouverture du lieu après rénovation.

L’idée? Valoriser les auteurs marocains tout en se positionnant dans le domaine culturel. «L’hôtel possède une grande bibliothèque, explique le directeur du marketing Denys Courtier. Nous souhaitons l’alimenter et nous profiler comme vitrine de la culture du pays. L’art est un vecteur pour un hôtel de luxe.» L’actuel directeur général Pierre Jochem renchérit: «Ce prix sert à la fois notre image et le rayonnement des lettres marocaines dans la francophonie.»

«Analphabète des ­sentiments»

Simple entreprise d’autopro­motion? Heu­reusement non. La qualité du jury international (il y manque encore un membre suisse) et celle de l’œuvre dis­tin­guée confèrent au prix sa cré­dibilité. Sous la présidence de l’auteure franco-marocaine Christine Orban, les onze jurés s’étaient réunis la veille pour faire leur choix parmi les sept romans encore en lice, sur les quinze œuvres présélection­nées par un comité de lecture interne à l’hôtel. Aux côtés de L’Analphabète, ils avaient à trancher entre Infidèles d’Abdellah Taïa, Ombres sur l’Amandier d’Amina El Alami Alaoui, Amour fractal de Ghizlaine Chraibi, L’Epreuve de la passion de Mamoun Lahbabi, Le Bonheur conjugal de Tahar Ben Jelloun et Amour nomade de Youssef Amine Elalamy.

«J’ai cherché ce livre durant dix ans, c’était la traversée du désert. Je suis heureux d’être visible», a déclaré Rachid O. ému, avant de répondre aux questions des journalistes. Anal­phabètes est son quatrième ouvrage, après des récits autobiographi­ques – dont Plusieurs vies (1996), qui a pour cadre Zurich, lieu marquant de son premier voyage. «J’ai longtemps été analpha­bète des émotions. Il m’a fallu la perte de mon père pour trouver le rythme de ce livre», continue Rachid O., qui revendique un texte politique mais non militant. Analphabètes évoque la difficulté d’écrire, l’homosexua­lité, l’analphabétisme, l’héritage des colons.

«C’est un éloge de l’écriture en parallèle à un éloge du père, qui ne lira pas ce livre, note ­l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou, membre du jury. Rachid O. vient boire à la source des origines pour trouver la force de rebondir et livre un roman d’une grande densité.»

Plus grande visibilité

Au Maroc, la diffusion des li­vres est mauvaise, leur coût prohibitif pour beaucoup, 30% de la population est analpha­bète et la majorité lit l’arabe. Le lectorat francophone y est donc restreint. Membre du jury, l’édi­trice marocaine Layla Chaouni relève ainsi l’importance de ce prix, qui permet aussi des «regards étrangers sur notre littérature». Doté par la Mamounia de 200 000 dirams (20 000 euros) et d’un voyage offert par Royal Air Maroc, il est le plus important dans un pays où le soutien aux lettres est quasi inexistant.

Pour l’Américain Douglas Kennedy, juré lui aussi, «le gouvernement marocain ne fait rien pour la littérature, que les privés s’en mêlent est donc une bonne chose». Même son de cloche chez Alain Mabanckou: «C’est aussi une manière de remercier le pays où ils font des affaires.» La jurée québécoise Marie Laberge relève quant à elle la richesse de l’expérience: «Nous avons un rapport différent à la langue, mais un même rapport à l’identité: le Maroc et le Québec ont dû s’affirmer face un conquérant.»

Un certain amateurisme

Un bémol toutefois: l’amateurisme de la conférence de presse, réduite à la révélation du lauréat. Aucune laudatio, une Christine Orban confuse, pas un mot sur l’histoire du prix, sa dotation et sa place dans le champ littéraire marocain, ni sur les six autres écrivains en lice. Or certains d’entre eux étaient présents, qui n’ont même pas été salués... Enfin, les livres étaient les grands absents de la journée! L’occasion était pourtant belle de profiter des nombreux journalistes présents pour «promouvoir les auteurs marocains» et faire circuler leurs romans. Pour l’année prochaine, peut-être?

 

www.mamounia.com

http://www.lecourrier.ch/115406/la_mamounia_nouvelle_vitrine_de_la_litterature_marocaine