Hommages nomades

Deux beaux livres marquent les 50 ans de la parution du mythique L’Usage du monde, chef-d’œuvre de Nicolas Bouvier (1929-1998), où il raconte son périple d’un an et demi de Belgrade à Kaboul, en Topolino avec son ami le peintre Thierry Vernet.

 

«C’est le voyage qui vous fait, ou vous défait», écrit-il sur ce chemin qui parcourt l’une des plus longues et anciennes routes du monde. Pour lui, le voyage est une forme d’ascèse, une manière de s’arracher à ce qui enferme, la quête d’un dénuement qui ouvre à l’instant et permet une plus intense présence au monde. S’arracher, s’attacher est justement le titre du premier opus, qui paraît dans la collection «Voyager avec» coéditée par La Quinzaine littéraire et Louis Vuitton. Il réunit des textes de Bouvier choisis par la critique Doris Jakubec – qui signe la préface – et la fondatrice des Editions Zoé Marlyse Pietri, ainsi que des photos et dessins de Bouvier.

On y lit des extraits de L’Usage du monde, du Poisson-Scorpion, du Journal d’Aran ou de Chronique japonaise, entrelacés à des poèmes de Le Dehors et le Dedans, à des entretiens issus de Routes et déroutes ou du film de Patricia Plattner Le Hibou et la baleine. Certains fragments sont inédits: des variantes de L’Usage du monde, des notes de Bouvier, sa correspondance. Organisés chronologiquement et d’Ouest en Est, ils offrent une magnifique immersion dans la vie et l’œuvre de l’écrivain-photographe genevois.

Quant à Tous les coqs du matin chantaient, il donne accès à une œuvre presque inconnue, parue dans un portfolio à tirage limité il y a plus de soixante ans, en 1951. Car c’est à l’orée des années cinquante que sont sortis les premiers textes personnels de Nicolas Bouvier (il n’avait jusque-là à son actif que des articles, dont l’un traitait de la Laponie), lesquels sont illustrés de douze gravures de Thierry Vernet. Les deux Genevois ont fait connaître cette œuvre à tous ceux qui étaient prêts à les soutenir dans leur projet de voyage de la Yougoslavie à l’Afghanistan, qui se concrétisera peu de temps après, entre juin 1953 et décembre 1954.

«Tous les coqs du matin chantaient» est le premier vers d’un poème liminaire: «Tous les coqs du matin chantaient. Les girouettes appelaient les enfants de leur cri mince et dur.» Suit la représentation d’un accordéoniste, comme pour montrer que les deux amis tendaient à l’unisson vers un même but. La suite du texte de Bouvier consiste en un récit imaginaire centré sur les thèmes du voyage, de l’errance, de la solitude. Ce petit livre est, en somme, le préambule ou le point de départ de L’Usage du monde. On peut également y voir la proclamation d’une indéfectible amitié.

 

NICOLAS BOUVIER, S’ARRACHER, S’ATTACHER, DIR. PAR DORIS JAKUBEC ET MARLYSE PIETRI, PREFACE DE DORIS JAKUBEC, ED. LOUIS VUITTON, 2013, 280 PP.

NICOLAS BOUVIER & THIERRY VERNET, TOUS LES COQS DU MATIN CHANTAIENT, ED. ZOE, 2013, 43 PP.

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