SALON DU LIVRE Pour la deuxième année, la manifestation genevoise met en lumière la littérature romande et ses auteurs sur la Place suisse, soit une scène et une librairie. Enfin!

 

 

L’émergence du Livre sur les quais à Morges, en 2010, aura-t-elle joué un rôle d’aiguillon? Ou assiste-t-on depuis quelques années à une curiosité nouvelle pour la littérature suisse, et romande en particulier? Toujours est-il qu’aujourd’hui, les deux manifestations phares dédiées au livre en Suisse romande font la part belle à la littérature du cru et à ses auteurs, au fil d’une foisonnante programmation de rencontres et de lectures: depuis l’an dernier, le Salon international du livre et de la presse de Genève a sa «Place suisse», où une scène côtoie une librairie et un espace dédié à la restauration.

«Créer ce lieu nous a semblé une évidence, explique Isabelle Falconnier, présidente du Salon du livre depuis trois ans. Tout d’abord car il reflète une réalité: la richesse et la vitalité des éditeurs et de la création littéraire en Suisse romande, que nous nous devions de mettre en avant. Ensuite, il s’inscrit dans la dynamique lancée à mon arrivée, qui a vu la création de plusieurs nouvelles scènes afin de privilégier les rencontres entre lecteurs et écrivains dans de bonnes conditions.» Effet collatéral de la désertion de certains grands éditeurs et distributeurs français? Au fil de ses trois dernières éditions, le Salon a peu à peu troqué son allure de foire pour privilégier la littérature et les discussions sur des scènes relativement intimistes. Salon africain, Place du Moi, Scène du crime, Pavillon des cultures arabes ou encore Scène du voyage ou de la BD sont autant d’espaces de respiration, «petites places du village dans la ville éphémère qu’est le Salon». Une évolution que saluent les acteurs du milieu.

«COMMENT INCARNER LA LITTERATURE?»

«Le Salon n’a plus la même mission qu’il y a vingt ans, confirme Isabelle Falconnier. Pour faire sens aujourd’hui, alors que l’accès aux livres est aisé et immédiat, il doit favoriser les rencontres. Comment rendre le livre vivant, incarner la littérature, faire œuvre de transmission?» Les réponses se veulent diversifiées, le Salon étant le «miroir des intérêts des lecteurs», poursuit-elle. Au sein de cet événement grand public – près de 100 000 visiteurs par édition, contre 180 000 à Paris –, la Place suisse représente un espace plus pointu. «Son public est averti, cultivé, et concocte son programme à l’avance, note Isabelle Falconnier. Mais la scène attire par capillarité les visiteurs des rencontres voisines, et inversement.»

Du 30 avril au 4 mai 2014 prochains, la Place suisse accueille donc à nouveau plusieurs rencontres par jour, selon différentes formules. Il y aura ainsi les Focus sur un auteur (Thomas Sandoz, Etienne Barilier, Amélie Plume et Matthias Zschokke), des discussions autour de la relève ou des premiers romans, des rencontres avec les lauréats des Prix suisses de littérature 2014 ou encore une série de Tandems, qui réunissent un écrivain romand et un confrère d’une autre région linguistique de Suisse – signalons notamment Anne Cuneo et Alex Capus, Pascale Kramer et Claudia Quadri, ou Marius Daniel Popescu et Pedro Lenz. Une proposition de la Collection ch, qui a permis la traduction dans une autre langue nationale de plus de 260 livres d’auteurs helvétiques, et fête cette année ses 40 ans par une expo vernie au Salon et une table ronde sur la traduction littéraire. La scène accueillera par ailleurs des événements festifs comme les 30 ans des Editions Empreintes, le vernissage du 8e numéro de la revue de littérature suisse Viceversa ou le 100e titre du Savoir Suisse.

PLEINS FEUX SUR LA RELEVE

On y rencontrera aussi les duos du projet Parrains-Poulains, reconduit pour la deuxième année: l’idée de ce mentorat artistique est de mettre en relation un écrivain confirmé et un auteur en début de carrière, qui discutent de leurs textes et de littérature dès l’automne. Les cinq paires qui se sont prêtées au jeu partageront leur expérience sur la scène suisse, et évoquent leur dialogue dans une plaquette où l’on peut également découvrir un texte inédit des «poulains». «Impression non pas d’avoir à t’apprendre ou à te ‘transmettre’ quoi que ce soit, mais que nous ne cessons de nous agrandir réciproquement en entre-tissant cet échange improbable, voulu par d’autres, et devenu presque nécessaire aux deux», écrit Sylviane Dupuis relatant la relation intense qui s’est nouée avec Pierrine Poget, au point qu’elle a le sentiment «de se retrouver en face du prolongement créateur de soi». (1)

Enfin, la Place suisse, c’est aussi une librairie d’environ 3500 titres en majorité littéraires, sur la Suisse ou signés par des auteurs du pays, constituée par Véronique Rossier de la librairie Nouvelles Pages à Carouge, et Céline Besson, de L’Etage à Yverdon. «Nous avons retravaillé le fonds de 2013, augmenté des nouvelles parutions de l’année, précise Véronique Rossier. J’ai réalisé à quel point cette littérature est riche et passionnante, c’était extrêmement stimulant.» Elle salue aussi la curiosité des lecteurs, qui ont dévalisé le lieu: tous domaines confondus, 525 livres en moyenne se sont vendus chaque jour.

«La littérature romande est devenue objet de fierté, conclut la présidente du Salon. Elle s’inscrit dans un monde à la fois globalisé et identitaire, et la jeune génération n’a plus aucun complexe par rapport à la France. Reste l’éternelle question: comment être lu au-delà des limites du petit territoire romand? Il s’agit de trouver comment exploiter le potentiel du numérique et d’internet. Des réflexions sont aussi en cours au niveau institutionnel sur une aide à la diffusion et à la médiation.» En attendant, la Place suisse permet déjà aux invités français du Salon de découvrir les livres de leur voisin. Et puisque le lieu, soutenu par Pro Helvetia et la Loterie romande, a démontré son importance, Isabelle Falconnier espère que son financement sera pérenne. «Chaque année, nous repartons de zéro afin de trouver des moyens financiers et des partenaires pour les différentes scènes. C’est toujours une inquitétude.»

 

1) Cinq courts-métrages ont également été réalisés avec les duos: ils seront diffusés sur RTS2 dans «Le court du jour», du lundi 28 avril au samedi 3 mai

http://www.lecourrier.ch/120345/florissante_et_sans_complexes