LAUSANNE A l'occasion des 20 ans du Centre de traduction littéraire, Heinz Schwarzinger présente différentes traductions de «Casimir et Caroline» illustrées par les apprentis comédiens de la Manufacture. Entretien.

 

Qu'ont en commun la littérature, la musique et le théâtre? Un petit air de traduction, répond le Centre de traduction littéraire (CTL). C'est donc en explorant les enjeux de cette pratique dans différents domaines de création qu'il fêtera ses 20 ans, samedi 10 octobre prochain à Lausanne: des lectures plurilingues – Aharon Appelfeld lira en hébreu, invité avec ses traductrices en français et en allemand! – alterneront avec une rencontre autour des libretti de Goethe, Adam et Donizetti, ou avec une conférence de Heinz Schwarzinger sur les différentes traductions de Casimir et Caroline, la célèbre pièce d'Ödön von Horváth créée en allemand en 1932.

Autrichien d'origine établi à Paris depuis quarante ans, Heinz Schwarzinger a traduit de l'allemand et du français une kyrielle d'auteurs dramatiques – citons Heiner Müller, Bertold Brecht, Karl Kraus ou Arthur Schnitzler côté germanophone, Corneille, Molière et Marivaux, Paul Claudel, Alfred Jarry, Xavier Durringer ou Enzo Cormann côté francophone. «Ödön von Horváth est mon auteur préféré», dit-il. Il a dirigé l'édition de son théâtre complet (6 volumes aux Editions de L'Arche, 1994-1997) et de son oeuvre en prose (4 volumes chez Christian Bourgois, 1988-1994). Enfin, sous le nom d'Henri Christophe, il a publié quatre traductions différentes de Casimir et Caroline entre 1988 et 2009... Samedi 10 octobre 2009 prochain, il parlera de l'évolution de ce texte tandis que 17 étudiants de 3e année de la Manufacture, Haute école de théâtre de Suisse romande, présenteront sous forme scénique ces réinventions de la langue. Interview.

 

Comment avez-vous travaillé avec les jeunes comédiens de la Manufacture?

Heinz Schwarzinger: Le public assistera à un ballet de comédiens, car nous avons opté pour une distribution en relais: les comédiens se passent le personnage afin que chacun joue une partie consistante. Ils interpréteront plusieurs fois la même séquence, la scène 3 du premier tableau, dans différentes traductions. Nous avons aussi travaillé sur l'adaptation cinématographique d'Henri Herré, Août, qui garde le texte presque intact en le transposant dans un futur relativement proche: le Zeppelin est remplacé par un vol habité pour Mars! Il y aura également des surprises, notamment des adaptations locales, imaginées par les élèves – qui ne connaissaient pas Horváth –, avec divers accents régionaux...

 

De quelle manière les différences de traduction impliquent-elles d'autres incarnations scéniques?

– La langue de la traduction oblige les comédiens à telle ou telle attitude de jeu. La première traduction de Renée Saurel, par exemple, impose un rythme très différent; on est plus proche de la prose que de l'expression dramatique et cela influe sur l'interprétation, le corps, le souffle. J'aime travailler avec les metteurs en scène et les comédiens pour tester les traductions. Il m'est arrivé de revenir sur le texte à la demande du metteur en scène, remontant alors à sa source. L'incarnation sur scène éclaire aussi parfois d'autres aspects d'une pièce, ce qui peut susciter d'autres choix de traduction. C'est ce qui s'est passé avec Casimir et Caroline, qui a connu plusieurs éditions et réalisations scéniques.

 

Comment la pièce a-t-elle évolué?

– En vingt ans, le texte a bougé essentiellement dans le rythme de la langue: il s'est resserré, le geste dramatique est plus fort. Il y a aussi un durcissement dans les expressions de l'affect, et surtout une plus grande unité dans la langue des personnages, comme c'est le cas chez Horváth lui-même: nul besoin de trop la différencier. «Le traducteur est le premier metteur en scène d'un texte», disait Antoine Vitez: il donne malgré lui une impulsion aux personnages, alors qu'il devrait se méfier de ce réflexe et rester plus neutre. La grande difficulté du traducteur est selon moi de trouver l'équivalence, c'est-à-dire d'être fidèle à l'original tout en atteignant une liberté. Je m'approche de cette «équivalence».

 

Casimir et Caroline est à l'affiche de deux productions en France...

– Cela me plaît de voir que, dans les pays francophones, ce sont surtout les jeunes metteurs en scène et comédiens qui découvrent et s'approprient Ödön von Horváth. Il aborde des problèmes qui les touchent. En France, on assiste depuis une quinzaine d'années à un engouement pour cet auteur, qui est un classique depuis longtemps dans les pays germaniques. Mais certaines de ses pièces n'ont encore jamais été créées et je me réjouis de ce qui reste à explorer.

 

Le CTL en bref

Soutenu par l'université et la Ville de Lausanne, le Centre de traduction littéraire (CTL) a été fondé en 1989 à l'initiative du professeur Walter Lenschen, médiéviste à la section d'allemand de l'université de Lausanne, dans le but de créer une plate-forme de discussion autour des questions théoriques et pratiques de la traduction littéraire.

Irene Weber-Henking a repris les rênes du CTL il y a dix ans, initiant une politique qui vise à faire reconnaître le métier de traducteur littéraire auprès du grand public. A côté des objectifs scientifiques – recherche dans le domaine de la traductologie, organisation de colloques et de congrès, publications –, le CTL organise ainsi des lectures bilingues qui réunissent auteurs et traducteurs sur un pied d'égalité «afin de montrer l'importance du travail de création dans la langue d'arrivée», selon Mme Weber-Henking. Les traducteurs invités sont choisis pour la qualité de leur travail, «qui révèle à quel point l'auteur dépend du traducteur pour trouver son public».1

Pour toucher davantage de monde, le CTL organise également des rencontres à l'extérieur de l'université, collabore avec des théâtres ainsi qu'avec les différentes communautés linguistiques de Lausanne. Enfin, il s'associe avec des éditeurs romands pour des publication de traductions – notamment les Editions d'en bas, qui viennent de recevoir une contribution de soutien à l'édition et d'encouragement de la traduction dans le cadre du programme «Moving Words. Promotion suisse de la traduction 2009-2011» de Pro Helvetia. 

 

http://www.lecourrier.ch/metamorphoses_d_une_piece