LITTÉRATUREPeut-on parler autrement des enjeux climatiques et énergétiques? C’est le pari que relèveront douze écrivains romands en immersion durant le week-end d’Alternatiba.

 

Parmi le public du festival Alternatiba, en septembre prochain, on croisera onze auteurs romands en mission exploratoire. Objectif: s’immerger dans les lieux de débats et d’exposition du forum afin d’en ramener des textes sur les thématiques et les initiatives qui les auront touchés, choqués, interpellés. De l’écohabitat aux villes en transition, de la communication non violente au commerce équitable, des syndicats paysans aux banques alternatives, ils auront l’embarras du choix pour s’emparer de thèmes aussi brûlants qu’habituellement absents de la littérature. Leurs textes seront réunis dans le recueil Reportages climatiques, qui paraîtra en novembre aux Editions D’autre part1.

Daniel de Roulet en sponsor

«C’est un pari, se réjouit Pascal Rebetez, directeur D’autre part. Les auteurs sollicités n’ont pas une démarche d’écriture militante, et c’est ce que nous trouvions intéressant. Nous sommes aussi curieux de voir ce qui peut résulter d’une certaine urgence, d’une rapidité d’écriture.»

C’est Daniel de Roulet qui est à l’origine de l’initiative. Quand l’écrivain genevois reçoit le Prix Culture et Société de la Ville au printemps dernier, il décide de le consacrer à un projet qui mêle enjeux littéraires et sociétaux. «J’ai eu envie de voir comment de jeunes auteurs pouvaient se confronter aux questions climatiques, comment la littérature pouvait traiter ce genre d’événements. Souvent, les militants sont très concernés et très au fait politiquement, mais peu intéressés par la littérature ou la culture en général. Ce projet permettra peut-être aussi de leur faire découvrir une autre manière de parler de ces enjeux.» Les initiatives locales mises en avant par Alternatiba sont voulues comme des étapes vers un monde libéré des énergies fossiles: une transition aussi bien culturelle et sociale qu’économique et énergétique, et qui «demande un nouvel imaginaire: les récits ont un rôle à jouer».

Pourtant, les enjeux climatiques ne sont pas faciles à traiter en littérature. Il s’agit de trouver la juste distance pour éviter le didactisme ou le militantisme – il faut, comme le formule Daniel de Roulet, «un dégagement engagé, ou un engagement dégagé!» Et de citer en exemple Brut: la ruée vers l’or noir de Nancy Huston, paru cette année: l’auteure franco-canadienne voyage dans son Alberta natal, où elle est directement confrontée aux changements du paysage induits par l’exploitation des gisements de sables bitumineux. «Brut n’est ni un essai ni une thèse, il permet une prise de conscience intime, profonde.» Lui-même choisit de traiter historiquement le sujet du nucléaire, dans des romans documentés qui mettent en scène des personnages scientifiques réels.

Regards singuliers

En portant un regard littéraire sur des enjeux politiques et climatiques, les écrivains leur apporteront à n’en pas douter un nouveau relief, né de leur subjectivité. «Je ne sais pas encore comment la littérature va s’inviter dans le reportage, glisse Maxime Maillard, qui sera de l’aventure. Elle pourrait donner une profondeur historique à l’approche des faits présents; elle permet en tout cas une grande liberté, d’utiliser le ‘je’, de créer un personnage...» Pour l’auteur de Monsieur Vitesses, collaborateur du Courrier, ces trois jours d’«immersion participative» seront aussi un prolongement de sa pratique journalistique – le temps pour l’écriture en plus. Saluant la sensibilité de Daniel de Roulet à l’engagement citoyen, il souligne la cohérence d’un projet en lien avec ce grand laboratoire à ciel ouvert qu’est Alternatiba, né de la volonté d’agir à partir de la base. «Ce qui m’intéresse est d’observer un fonctionnement inductif, une expertise populaire, l’exercice de la parole et de la réflexion autour de thèmes concrets qui touchent à notre quotidien.»

Cette dimension collective fait aussi sens pour Antoinette Rychner, lauréate du Dentan 2015 pour Le Prix. «La littérature est une manière d’élaborer, de transformer, de prendre du recul, d’être impliqué sans subir. C’est important face à l’angoisse et à la tristesse liées au dérèglement climatique.» A la lecture de Comment tout peut s’effondrer de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, elle a été choquée par l’imminence de ces effondrements – économiques, climatiques, de la biodiversité, etc. «Je me suis aussi interrogée sur ma pratique: est-il pertinent de produire toujours plus d’objets culturels? On vit une accélération folle dans ce domaine aussi, et il est paradoxal de faire un livre alors qu’il y en a déjà tant. Mais j’ai accepté car je pense que ce projet me fera évoluer.» Restera à trouver une forme juste, entre l’information, la recherche et l’émotion, pour laisser une empreinte sensible de ces trois jours qui promettent d’être intenses.

1. De fin septembre à début novembre, Le Courrier en publiera chaque semaine les bonnes feuilles en avant-première.

Auteurs participants au projet: Odile Cornuz, Julie Guinand, Blaise Hofmann, Antoine Jaccoud, Maxime Maillard, Bruno Pellegrino, Augustin Rebetez (photos), Matthieu Ruf, Antoinette Rychner, Noémi Schaub, Daniel Vuataz et Vincent Yersin.

http://www.lecourrier.ch/131920/les_recits_ont_un_role_a_jouer_si_on_veut_changer_de_paradigme