EXPO.02 Dans ses publications Expo.02 se présente et veut faire rêver. Quels sont les liens entre l’histoire qu’elle raconte et la réalité? Réponse subjective.

 

Aux débuts de la conception de l’Expo, Pipilotti Rist avait pensé créer «l’Helvétèque», une bibliothèque virtuelle qui aurait offert aux visiteurs une clé de lecture de l’exposition. Sorte de Tour de Babel moderne, elle aurait donné une unité à l’ensemble en même temps que du sens. Aujourd’hui, cette unité n’existe pas et le sens a cédé la place aux sens. 

Expo.02 se veut accessible par les émotions et l’expérience vécue plutôt que par la compréhension intellectuelle. C’est un moment à vivre, nous dit-on. On n’est pas là pour comprendre, mais pour rêver. A chacun de se créer sa propre Expo! Pour toucher tous les publics, Expo.02 mise ainsi sur l’émotion plutôt que sur la culture ou l’intellect. Louable intention. Mais paradoxalement, une grande partie de sa stratégie de communication consiste non pas à informer mais à expliquer au visiteur comment vivre cette expérience, à se raconter, à se mettre elle-même en fiction. Finalement, l’imagination déployée dans ce discours sur Expo.02 devient presque plus intéressante que l’Expo elle-même. Et il se crée un décalage entre ces propos et l’expérience que fait le visiteur.

 

INVENTEZ VOTRE REALITE 

Nelly Wenger, directrice d’Expo.02, nous rappelle que le langage est créateur de la réalité, et diverses expositions incitent d’ailleurs le visiteur à inventer son propre monde. Les commentaires du catalogue de l’Expo et le livre Je vous invite. Un récit, de Nelly Wenger, montrent l’exemple. Dans cet ouvrage censé «éclairer certains aspects de l’Expo et en exprimer les significations apparentes et cachées», Nelly Wenger annonce clairement qu’elle raconte une histoire, «un récit subjectif» qui «possède un début et pas de fin». Dans ce récit imaginaire, les arteplages sont des «projections qui nous font voir plus loin. Peut-être pourraient-elles devenir des visions.» 

Ce sont des rêves. Le catalogue utilise des termes qui empruntent le langage des contes de fées et font entrer le visiteur dans l’univers de ses rêves d’enfant. Ainsi, à Yverdon, les collines fleuries de l’arteplage «symbolisent un imaginaire devenu réalité». «Tous les sens sont maintenus en éveil par une symphonie de couleurs, une myriade de parfums et des visions spectaculaires.» Dans ce monde irréel le visiteur se retrouve littéralement transporté au paradis. L’exposition Kids.expo est «un monde extraordinaire. (...) Un univers magique, un paradis, un laboratoire et un cabinet des épouvantes.» Le visiteur plane: «Notre petit 'moi' à qui le 'Nuage' indique la voie vers l’infini se promène dans un paysage sensoriel. Questions, images, invitations, tout fait appel aux sens. Et au-delà de toute routine ou naÏveté, un souffle d’amour plane sur l’arteplage.»

 

UNE EXPO QUI N’EXISTE PAS 

Toute construction, toute exposition fait ainsi l’objet d’une histoire qui la recrée. Par peur que le public ne comprenne pas ou parce qu’il n’y a rien à comprendre? Les arteplages par exemple sont des «Icônes», symboles architecturaux destinés à focaliser l’attention du public sur un thème particulier (Pouvoir et Liberté, Instant et Eternité, Moi et l’Univers, Sens et Mouvance...). Les constructions deviennent figures allégoriques qui prennent des majuscules au passage. L’architecture est onirique et les pavillons philosophes. Il y aussi Lili, la mascotte de l’Expo, et ses amis qui habitent chaque arteplage: leur histoire fait l’objet d’un livre tandis que Lili est aussi une poupée - produits dérivés que le public peut acheter aux boutiques souvenir. 

Esthétiques, oui, les arteplages le sont. Agréables à l’oeil. Mais le discours qui sert à les présenter est encore plus beau. Dans Je vous invite. Un récit, Nelly Wenger cite Hannah Arendt: «Il n’y a pas d’activité humaine qui ait autant que l’action besoin de la parole.» Et elle enchaîne: «Le texte que voici est le témoin d’une action sans cesse interprétée et commentée. A la fois lecture du passé, postulats du présent et projection pour le futur.» Une action tellement interprétée qu’elle crée une Expo qui n’existe pas dans la réalité.

Mots et concepts s’accumulent sur les arteplages comme pour mieux cacher une honteuse nudité. Expo.02 ne serait-elle qu’un amas de signes qu’on a besoin de décrire, de commenter, d’interpréter à l’infini en espérant qu’à force de les nommer, ils fassent sens? En tant qu’exposition nationale, Expo.02 donne ainsi l’image d’une identité suisse rêvée et utopique, d’une Suisse imaginaire qui se raconte et s’invente. Parce que cette «identité suisse» n’existe pas ailleurs que dans les histoires que chacun se raconte à son sujet - dans le langage.

http://www.lecourrier.ch/il_etait_une_fois_lhistoire_imaginaire_dexpo_02