SOCIÉTÉ - Comment garantir l'accès à une information libre et plurielle face à la concentration des médias? C'est l'une des questions qui seront abordées en marge du Sommet de l'information à Genève. Le point sur le média-activisme qui se sert d'Internet, et sur les difficultés rencontrées par la télévision alternative en France.

 

Parallèlement au Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI), qui s'ouvre à Genève le 10 décembre prochain, la société civile et le mouvement altermondialiste ont mis sur pied une centaine d'événements. Débats, conférences et ateliers entendent contrebalancer le Sommet officiel, accusé de privilégier les contenants et l'aspect technique et commercial de la communication, au détriment d'un vrai débat sur les contenus.

L'un des enjeux abordés par ce contre-sommet est celui de la concentration des médias, c'est-à-dire du monopole de l'information aux mains d'un nombre limité de grandes entreprises. Diversité des titres ne rime plus avec pluralité de l'information. La critique des médias se révèle centrale dans la constitution du mouvement altermondialiste: l'«autre monde» ne se construira pas sans une autre information.

Que les médias soient des entreprises dont le financement dépend de la publicité et des ventes n'est pas nouveau. Ce qui l'est, c'est l'ampleur des concentrations, leur caractère transnational et leur rôle: pour Henri Maler, co-animateur de l'association Acrimed (Action-CRItique-MEDias, lire encadré), «les entreprises médiatiques ne sont pas la proie des concentrations et de la mondialisation capitalistes: elles en sont des acteurs».

Cotées en bourse, ces nouvelles entreprises multimédia englobent divers domaines d'activités – de la vente d'armes ou de béton aux parcs de loisir. Placées devant une exigence de rentabilité, elles usent de stratégies publicitaires pour fidéliser leur audience. Leur programmation se doit d'être consensuelle pour exclure le moins de consommateurs possible. L'influence sur les contenus est inévitable. Dans son éditorial «Le cinquième pouvoir» (Le Monde diplomatique, octobre 2003), Ignacio Ramonet relevait que les médias ne remplissent plus leur rôle démocratique de dénonciateurs des dérives du pouvoir économique et politique. Il en appelle à la création d'un Observatoire international des médias.

 

UNE AUTRE INFORMATION

Selon Henri Maler, pour être entendue, la contestation doit élaborer un espace médiatique indépendant de celui des médias dominants. Car «il est difficile (...) de se servir des médias dominants sans leur être asservi. Si un autre monde est possible, c'est aussi parce qu'un autre monde médiatique est possible.»

Des alternatives ont pu se développer grâce à Internet. En permettant l'émergence de nouveaux modes de production et de diffusion de l'information, libérés des contraintes de coûts et de rentabilité, la Toile est devenue le principal espace de visibilité des réflexions et des actions du mouvement altermondialiste.

Dans «Peut-on se libérer des formats médiatiques? Le mouvement alter-mondialisation et l'Internet»[1], Dominique Cardon et Fabien Granjon relèvent que la couverture alternative des contre-sommets (Seattle, Florence, Gênes, Davos, Porto Alegre, etc) se révèle «mieux documentée, plus polémique» et plus centrée sur les enjeux de la critique de la globalisation que celle de la presse traditionnelle. Ils identifient deux tendances dans ce phénomère.

 

AU CENTRE, L'ANALYSE

La première est, selon eux, «anti-hégémonique». Elle est incarnée, par exemple, par Le Monde diplomatique (qui met en ligne les articles de son mensuel), ou des sites de contre-expertise comme attac.org ou mediasol.org. Cette tendance «s'attache à mettre en lumière la fonction propagandiste des appareils idéologiques de la globalisation que sont les médias, et appelle à la création d'un contre-pouvoir critique.» Ecrits par des journalistes professionnels ou des experts, les articles respectent les codes du journalisme professionnel (vérification des sources, recoupement des faits, etc). Leur contenu répond à la critique de légèreté et de superficialité du traitement de l'information souvent adressée aux médias dominants. Avec un risque: rester dans le cadre du débat d'experts, difficile d'accès pour les lecteurs non informés.

 

WEB-ACTIVISME

La seconde tendance de cette critique altermondialiste des médias est d'esprit plus libertaire. Pour elle, «la dénonciation de la pensée unique constitue une proposition insuffisante pour créer de réelles alternatives, notamment parce qu'elle ne garantit rien contre la reconstitution d'autres formes de confiscation de la parole, par les experts ou les porte-parole d'organisations militantes», analysent Dominique Cardon et Fabien Granjon. Le développement des médias alternatifs sur Internet facilite une prise de parole large et hétéroclite: les sites média-activistes se veulent ouverts à tous – professionnels, militants, témoins, victimes. L'information n'est plus l'apanage des journalistes, mais implique des lecteurs actifs, participants à la production de l'information. L'expression des subjectivités est parfois plus importante que la véracité de l'information ou l'acuité de l'analyse.

Ces sites sont basés sur l'open-publishing: ils offrent des espaces ouverts, libérés de toute censure, sans hiérarchie ni responsables attitrés. Des dossiers documentés et des articles journalistiques côtoient témoignages, textes d'humeur, réactions, ou encore des informations non relayées par les médias traditionnels: tracts, convocations militantes, suivi en direct des manifestations, etc. Un bémol: il leur est difficile d'éviter les pièges des forums de discussion, qui s'apparentent parfois à une forme d'exutoire – comme les forums en ligne des journaux traditionnels. Ces sites laissent aussi la porte ouverte aux propos haineux, racistes ou antisémites. Leurs animateurs signalent en général les articles qu'ils n'approuvent pas, et essaient aujourd'hui de définir quelques règles (modérateurs, filtres).

L'exemple le plus connu de ce web militant est le réseau Indymedia, né en 1999 lors du sommet de Seattle. Il dispose d'antennes dans une vingtaine de pays. Lors du Sommet du G8 en juin dernier à Genève, Indymedia Suisse et le collectif geneva03.org avaient fourni de l'information en direct et en continu sur Internet (livestream). Chacun, manifestant ou témoin, pouvait mettre à disposition ses photos ou films numériques, visionner et commenter à chaud les événements.

 

UNE REELLE ALTERNATIVE?

Si les médias alternatifs ont réussi à relayer une information différente, plurielle et engagée, ce foisonnement de textes risque aussi de réduire leur public à un cercle restreint de militants, d'experts et de journalistes, seuls disposés à circuler dans cet enchevêtrement. Les sites des médias-activistes ont pourtant le mérite d'analyser des enjeux de société qui prennent de plus en plus d'importance, et de relater des événements ignorés ou déformés par les médias traditionnels. On sait que ceux-ci passent souvent à côté des véritables problématiques développées lors des contre-sommets et des Forums sociaux, pour se focaliser sur des sujets plus spectaculaires – affrontements entre manifestants et police, casse, polémiques, personnalisation des enjeux... Par ailleurs, si certaines des formes employées sur les sites d'information alternative – surtout les chats et forums – peuvent aussi mener à des dérives (rumeurs, partis pris, info non vérifiée, etc), elles reflètent directement la volonté des acteurs sociaux de reprendre une parole confisquée.

Reste à savoir si ces médias militants sont une véritable alternative aux médias conventionnels, capable à terme de les influencer et de leur imposer un nouvel agenda. Ou bien s'il resteront des «médias citoyens», qui entendent favoriser les prises de paroles multiples et les témoignages.

 

Acrimed, un observatoire critique des médias

Un observatoire des médias existe déjà en France: l'association Acrimed (Action-CRItique-MEDias), qui s'est constituée en réaction au traitement – ou plutôt au non-traitement – par les médias des mouvements sociaux français de 1995. Choquée par «les tentatives intolérables d'étouffer la voix des acteurs sociaux, de dénaturer leurs aspirations, d'effacer leurs propositions en les soumettant au verdict de prétendus experts», elle lance alors un «Appel pour une action démocratique sur le terrain des médias». Acrimed mène depuis lors son action critique en dénonçant et analysant les dérives des médias (journaux, radios et télévisions) sur son site Internet. Elle met en question «la marchandisation de l'information, de la culture et du divertissement, ainsi que les dérives du journalisme quand il est assujetti aux pouvoirs politiques et financiers et quand il véhicule le prêt-à-penser de la société de marché». On lira avec intérêt, par exemple, son dossier sur le traitement des manifestations contre le Forum de Davos par la Tribune de Genève en janvier 2003 («un cas exemplaire de désinformation»). Ou celui sur la manière dont les médias suisses romands ont couvert le Forum social de Florence...

http://acrimed.samizdat.net

 

Lire aussi la contribution de Roderic Mounir, Zalea TV a repris le «maquis hertzien».

http://www.lecourrier.ch/quels_medias_pour_une_info_citoyenne

 

http://acrimed.samizdat.net