"Aruè", moisson poétique

Aruè! C’est sous ce cri de ralliement que Denise Mützenberg, directrice des éditions genevoises Samizdat, poète et traductrice, publie l’anthologie de poésie romanche qu’elle mûrit depuis presque une décennie.

 

 

Aruè est un florilège, note Annetta Ganzoni en préface: «un projet personnel qui ne prétend pas être représentatif», Denise Mützenberg documentant avant tout «des rencontres et des bonheurs de lecture partagés au fil des années», traduisant certains poèmes et reprenant également des traductions existantes.

C’est dans les années 1970 qu’elle tombe amoureuse de cette langue, découverte grâce à son mari Gabriel Mützenberg (1919-2002), auteur notamment de Destin de la langue et de la littérature rhéto-romanes. Denise Mützenberg est d’ailleurs entrée en poésie par le vallader, avec son recueil bilingue Dschember Schamblin, qui inaugurait les éditions Samizdat en 1992.

Une histoire de cœur, donc, et c’est avec plaisir qu’on chemine avec elle dans les trois parties d’Aruè, dédié à la poésie de Basse-Engadine et du Val Müstair. «Inscunters» est consacré aux auteurs que Denise Mützenberg a côtoyés, présentés en quelques lignes et par plusieurs poèmes. On y découvre Duri Gaudenz, Luisa Famos, Rut Plouda, Leta Semadeni, Andri Peer et Dumenic Andry. «Clamains» parcourt quatre générations d’écrivains du XXe siècle, de Jon Semadeni à Oscar Peer, de Cla Biert à Victor Stupan. Pour finir, Denise Mützenberg propose trois «passagers clandestins» du romanche – elle-même, Angelika Overath et Warren Thew –, qui se sont exprimés dans cette langue autre mûs par une profonde nécessité intérieure.

Poètes connus ou découvertes, plumes classiques ou plus audacieuses, ce florilège dessine les contours d’un univers proche de la nature, d’un lyrisme discret, où les vers suivent parfois un fil narratif pour susciter des atmosphères évocatrices. «Il neigeneigeneige / muette / la scène / seul le renard / rit sous cape / un bond / la vie aujourd’hui / est à lui», écrit Rut Plouda.

On suivra les traces de ce renard dans les beaux poèmes de Leta Semadeni, présents dans Aruè et qui font également l’objet d’un recueil traduit du vallader par Denise Mützenberg, Dans ma vie de renarde et autres poèmes (Samizdat, 2015). Métaphores de la singulière empathie du poète avec le monde, les animaux jettent ici des ponts entre mondes imaginaires et rationalité humaine. «Ivre / le cheval parle / ma langue / La renarde / est prise au piège / de tant d’histoires», écrit la poétesse née en 1944 à Scuol. Une découverte pour les francophones, qui ne résisteront pas, au fil de ces deux livres bilingues, à prononcer le romanche à voix haute, fascinés par son étrange familiarité...

ARUE, ANTHOLOGIE DE POESIE ROMANCHE, TEXTES REUNIS PAR DENISE MÜTZENBERG, DIVERS TRADUCTEURS, ED. SAMIZDAT, 2015, 332 PP.

http://www.lecourrier.ch/138305/moisson_poetique_romanche