Feuille, piano, stylo

LITTÉRATURE L'auteur genevois vient de publier le roman «Les Carnets de Johanna Silber» et le long poème «Vertiges de l'oeil». Dès janvier, il dirigera la collection de poche des éditions L'Age d'Homme.

 

Il a joué enfant dans des rues teintées d'imaginaire, nommées Confessions, Nouvelle-Héloïse ou Promeneur solitaire: né en 1952 à Nyon, Jean-Michel Olivier a grandi dans le quartier genevois de Saint-Jean, avant de passer sa maturité au Collège Rousseau. Il voit dans ce récit des origines un clin d'oeil à sa précoce vocation d'écrivain: adolescent, il hésitait déjà entre musique et littérature. «Je jouais de la guitare et du piano, composais des chansons, et j'ai même enregistré un disque dans les années 1970, pour le label Evasion à Lausanne – celui de Pascal Auberson», raconte-t-il, amusé, cet après-midi d'hiver dans un café enfumé. «Heureusement, il n'en reste aucun exemplaire! Je n'étais vraiment pas à l'aise en concert. J'ai donc choisi de me taire et j'ai commencé à écrire», dit-il joliment.

Paru chez L'Age d'Homme en 1981, son mémoire de licence Lautréamont: le texte du vampire marque ainsi le début d'une carrière littéraire où essais et fiction alternent, cette dernière prenant une place croissante dans la vie de ce professeur de français et d'anglais au Collège de Saussure.

Silhouette élancée, enthousiasme juvénile, Jean-Michel Olivier est pris aujourd'hui dans un tourbillon d'activités: il publie le poème Vertiges de l'oeil, le roman Les Carnets de Johanna Silber (lire Le Courrier du 10 décembre dernier), et dirigera dès janvier la collection de poche des éditions L'Age d'Homme. Avec 225 titres à son catalogue, celle-ci a pour mission de rééditer les auteurs suisses majeurs. «Je me concentrerai sur la littérature contemporaine, riche et foisonnante, précise Jean-Michel Olivier. Avec une attention particulière pour les auteures.»

MUSIQUE ET IMAGE

Spontané, chaleureux, celui qui a reçu en 1999 le prix artistique de la Ville de Nyon pour l'ensemble de son oeuvre parle avec simplicité de son travail d'écriture, qui est pour lui une autre manière de faire de la musique – de jouer sur le rythme, le phrasé, les silences. «La musique est derrière tout ce que j'écris», confesse le Genevois qui pratique toujours le piano jazz et a prénommé sa seconde fille Norah, en hommage à Norah Jones. «Ecrire est une affaire intime, qui ne nécessite pas d'exhibition. On peut écrire masqué, caché, et c'est pour moi garant de liberté. Mais j'admire toujours les gens qui sont à l'aise sur scène.» De fait, Jean-Michel Olivier a été critique de théâtre, de musique et de littérature, et a fondé en 1986 Scènes Magazine avec son ami Frank Fredenrich.

Depuis trente ans, il développe ainsi une écriture qui s'articule autour de la musique mais aussi du regard. Outre une douzaine de romans, récits et nouvelles, il a signé plusieurs ouvrages mêlant texte et image – notamment La Chambre noire (1982), élaboré avec le peintre René Feurer, L'oeil nu (1994), recueil de poèmes illustré de gravures de Marc Jurt ou La Montagne bleue (1998), en collaboration avec le photographe Jacques Pugin. «Il ne s'agit pas d'illustrer le texte ni de décrire l'image, explique-t-il, mais de construire quelque chose de neuf, où ils se prolongent l'un l'autre.»

LES SILENCES DU RÉCIT

Les récents Carnets de Johanna Silber et Vertiges de l'oeil s'inscrivent dans cette double obsession. Journal intime d'une chanteuse d'opéra et de cabaret qui abandonne son fils pour se consacrer à sa carrière, et dont la vie sera marquée par l'exil et l'errance durant la Seconde Guerre mondiale, les Carnets étaient à l'origine un long chapitre du Voyage en hiver (1994), «quête d'identité à travers la musique» de Mathias, le fils délaissé. Dans un style elliptique, sobre et tendu, Jean-Michel Olivier relate ici la lutte de Johanna avec sa conscience, avec la musique, avec le nazisme, et sa fascination pour le célèbre cycle de lieder de Franz Schubert Le Voyage d'hiver, qui décline en vingt-quatre saisons autant d'étapes du dépouillement.

Comme une partition musicale, l'écriture de Jean-Michel Olivier accueille aussi le silence, une respiration qui donne son rythme au récit. La forme du journal intime lui permet de créer un sous-texte que le lecteur ne peut que deviner: les fragments des Carnets laissent entre eux des blancs, temporels et spatiaux – suggérant les ellipses d'un récit sous-tendu de non-dits, de parties aveugles, comme non développées. Ainsi, l'écriture de Jean-Michel Olivier a ceci de remarquable qu'elle intègre dans sa matière même les deux axes qui la fondent – musique et regard –, mais aussi leur verso – silence et cécité.

Une posture existentielle plus qu'intellectuelle: l'auteur a vécu dans sa chair et l'émotion musicale et l'expérience de la nuit. Le long poème «Vertiges de l'oeil» s'inspire de «péripéties médicales» plutôt angoissantes: à la suite de problèmes de rétine, Jean-Michel Olivier a perdu la vue pendant près d'une année. «J'ai subi des dizaines d'opérations qui m'ont laissé sur les genoux, raconte-t-il. J'ai voulu décrire ce périple, avec ses hauts et ses bas, avec l'espoir qui s'accroche aux voix, à la musique, aux contacts physiques, avec ce passage progressif vers la lumière, comme un voyage à travers les cercles de Dante.» Et les vers s'enchaînent, brefs et rythmés, violemment scandés, battant le tempo de l'angoisse et de l'attente.

LA PART OBSCURE

Dans L'Enfant secret (Prix Michel-Dentan 2004), Jean-Michel Olivier opposait ses deux grands-pères: le maternel, portraitiste attitré de Mussolini qui met en scène le Duce dans des clichés où «la lumière règne en maîtresse absolue», et le paternel à moitié aveugle, qui prend des photos guidé par les odeurs, oscillant «au bord du vide» près d'une part de lui-même «dont l'entrée est interdite, quand nos yeux sont ouverts». Ce mystère, cette part d'ombre et d'inattendu, constituent pour Jean-Michel Olivier le charme de l'écriture: «On ne sait pas ce qui va advenir.» Il avoue être souvent surpris par «l'oeuvre en train de se faire», qui répond à une logique propre à laquelle il faut obéir. Et même si son travail est très construit, il ne parvient pas toujours à suivre le plan détaillé qu'il s'était fixé. «Je dérive. Parfois, un épisode jugé crucial fait au final trois lignes, tandis qu'un autre se développe.» Et de remarquer que, souvent, la dernière phrase d'un livre est la première du suivant. «Un lien inconscient se tisse entre deux romans à des années d'écart.»

 

 

Jean-Michel Olivier: Les Carnets de Johanna Silber, éd. L'Age d'Homme, 2005, 133 pp. et Vertiges de l'oeil, éd. Le miel de l'Ours, 2005, 45 pp.

http://www.lecourrier.ch/jean_michel_olivier_feuille_piano_stylo