Poisson pilote

CONCERT La star du rock russe et son groupe Aquarium donnent un unique concert européen au Victoria Hall de Genève, mercredi 8 juin prochain.

 

De Moscou à Novossibirsk, ses concerts remplissent les stades et ses chansons sont entonnées par des millions de personnes. Trente ans de carrière, une septantaine d'albums: Aquarium est un monument du rock en Russie, et Boris Grebenshikov une véritable star nationale. Des générations de Russes ont grandi au son des albums éclectiques de l'auteur, chanteur et compositeur du groupe: punk, reggae, blues, rap, jazz, musique celtique, folklore russe et mantras tibétains, Aquarium a métissé des influences les plus diverses son rock made in Russia. «Ma tête et mon coeur fonctionnent ainsi», explique Boris Grebenshikov. J'ai besoin de changer, d'être surpris. Le public aussi.» Autour de lui ont gravité différents artistes selon les époques, les styles ou les besoins du moment. Sorti en avril dernier, Zoom Zoom Zoom ne faillit pas à la règle: enregistré à Londres avec des musiciens africains, le reggae russe de ce dernier opus fait déjà un tabac.

ROCK INTERDIT

Mercredi prochain, Aquarium fait halte à Genève pour une date unique au Victoria Hall, juste avant Moscou et après Nijni Novgorod. C'est dans cette ville, entre deux sound checks avant son concert de jeudi, que nous avons joint Boris Grebenshikov.

Sur le site Internet du groupe, les interviews du chanteur en donnent une image plutôt doctorale – on l'interroge sur le sens de la vie, l'amour, la mort, Dieu ou la philosophie. Agréable surprise: l'homme a le triomphe modeste et le contact chaleureux. Grave, sa voix dégage une sérénité étonnante. Que pense-t-il de ce statut d'idole et de maître à penser? On le sent sourire à l'autre bout du fil: «Cela fait quinze ans que je suis considéré comme une star et ça me fait toujours drôle. J'essaye simplement de répondre honnêtement aux questions qu'on me pose, de dire ma vérité de façon la plus sincère possible.»

Long est le chemin parcouru. Quand il crée Aquarium en 1972 avec son ami Anatoly Gounitsky, auteur de pièces de théâtre et poète de l'absurde, Boris Grebenshikov est étudiant de maths appliquées à l'Université de Leningrad et le rock est interdit par la culture officielle. Mais «on s'échangeait des livres et des cassettes sous le manteau», raconte-t-il. «Le rock représentait la seule chose réelle dans un monde totalement irréel.»

AQUARIUM EST UN «MODE DE VIE»

Aquarium se produit clandestinement, souvent dans des appartements privés. «Au début, personne ne nous prêtait beaucoup d'attention. Puis nous sommes devenu un immense scandale», explique BG – ainsi surnommé par ses fans. Sans s'opposer directement au régime soviétique, Aquarium devient un «mode de vie» en marge d'une réalité officielle «mortellement ennuyeuse».

Devant l'ampleur croissante de la culture underground, le pouvoir soviétique finit par autoriser quelques concerts – une manière aussi de mieux les surveiller. En 1980, le punk d'Aquarium scandalise le jury du premier festival de rock de Tbilissi. BG est renvoyé de son travail et exclu du Komsomol (Union des Jeunesses communistes). En 1983, alors que les médias commencent timidement à parler des groupes rock, la popularité d'Aquarium est déjà énorme. Les tournées s'enchaînent, la première compilation officielle paraît sur le label étatique Melodia en 1987 et «se vend à plusieurs millions d'exemplaires», raconte Boris Grebenshikov.

Deux ans plus tard, il est l'un des premiers Russes à voyager hors du pays. «Je n'étais pas surpris. Je connaissais déjà tout par les livres. Mais j'éprouvais une immense sensation de liberté.» Aux Etats-Unis, il enregistre en solo Radio Silence avec Dave Stewart du groupe Eurythmics, puis un deuxième album à Londres, avant de revenir en Russie où il se sent «plus utile».

SYMBOLE DE LIBERTE

Depuis, sa musique reflète les ruptures et les changements d'une Russie ballottée entre retour aux traditions et influences occidentales. «A en juger par nos concerts, c'est toujours le même monde: nous sommes autant populaires au sein de la génération qui n'a jamais connu le communisme que pour nos anciens fans», se réjouit Boris Grebenshikov. Qui explique que «les gens veulent voir d'autres gens libres, ils aiment ça». Aquarium continue de représenter la possibilité d'une alternative à tous les conformismes.

Zoom... en témoigne: réalisé avec des musiciens africains, l'album est aussi «une manière de montrer leur travail, d'essayer de changer les préjugés des Russes», relève BG, qui déplore la tradition raciste de son pays. «C'est l'un de ses pires aspects. Il y a beaucoup de meurtres racistes à Moscou et Saint-Pétersbourg. La police s'en fout.» Mais s'il parle de paix, ce bouddhiste de coeur ne se fait pas trop d'illusions. «Comment voulez-vous que les gens se préoccupent de l'environnement quand ils n'ont pas assez à manger? 80 à 90% des Russes vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Les conditions de vie sont plus difficiles qu'à l'époque communiste.» A défaut de pouvoir changer le monde, BG s'efforce «d'être le plus sincère possible» dans son travail.

Ce n'est pas qu'un voeu pieux: sa célébrité permet à Aquarium d'échapper aux diktats de l'industrie du disque russe. «95% de ce qui sort aujourd'hui en Russie est nul, regrette BG. Des albums commerciaux, écrits et produits pour rapporter de l'argent et c'est tout. Moi, je pense que la musique doit être gratuite.»

 

 

Mercredi 8 juin à 20h30. Victoria Hall, Genève, location Ticketcorner.

Concert organisé par l'association Saint-Pétersbourg 300. Boris Grebenshikov (voix, guitare), Boris Roubékine (clavier), Andreï Sourotdinov (violon), Oleg Char (percussions), Igor Timoféev (guitare, saxo, flûte). Avec la participation de Djivan Gasparian, maître du doudouk (flûte arménienne), qui a notamment collaboré à la bande originale de Gladiator de Ridley Scott.

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