La lectrice

LIVRES  Editrice et agent littéraire, elle anime des ateliers d’écriture et vient de publier un savoureux «Premier roman, mode d’emploi».

 

 

Comment devient-on agent littéraire après avoir étudié la philologie grecque et byzantine? C’est le trajet singulier de Laure Pécher, invitée la semaine dernière au Salon international du livre et de la presse de Genève pour son ouvrage Premier roman, mode d’emploi. Car la Française anime aussi des ateliers d’écriture: basé sur cette expérience, son livre se révèle une véritable boîte à outils qui évitera aux débutants les pièges liés au genre. Truffé d’exemples et d’exercices, il présente de façon vivante et synthétique les choix essentiels qui s’offrent à l’auteur. «Il ne faudrait pas non plus y voir un ensemble de principes inflexibles ou de recettes infaillibles, écrit-elle en guise de conclusion. Est-il bien nécessaire de rappeler que talent et technique ne sont pas synonymes et que pour accéder au premier il faut savoir s’affranchir de la seconde?» Au Salon, Laure Pécher est d’ailleurs attendue pour animer un atelier, et c’est dans l’oasis de calme offerte par le bar des auteurs que nous avons trouvé refuge pour une trop brève conversation avant qu’elle ne s’échappe.

TRADUIRE LE PATRIMOINE

«Je me suis formée en lisant des manuscrits ratés», lance-t-elle. Il faut dire qu’elle en a lu des centaines, depuis ses débuts au sein de la maison d’édition parisienne Le Serpent à Plumes, à laquelle elle est venue via... son travail dans l’audiovisuel. Une autre corde à son arc? «J’ai travaillé dans l’audiovisuel par besoin d’argent, explique-t-elle. Je m’occupais de scénarisation de films publicitaires puis de fictions TV et cinéma.» Pierre Astier, fondateur du Serpent à Plumes, lui demande alors de s’occuper des droits audiovisuels au sein de sa maison. «Le monde de l’édition me correspondait mieux. Peu à peu, je me suis chargée de tous les droits ainsi que des acquisitions de littérature étrangère.»

C’est aussi à cette période – en 2002 – qu’elle crée l’association à but non lucratif Les Classiques du monde. Intention: rechercher et faire traduire en français des œuvres étrangères fondatrices. Pour ses études, elle a vécu quatre ans à Athènes dans un milieu international: «Les autres étudiants connaissaient la littérature mondiale, les classiques allemands, italiens, espagnols, etc. Moi pas. En France, le système scolaire n’aborde que la littérature nationale classique, il y a un vrai manque – c’est heureusement en train de changer.» En plein débat sur l’Europe, l’idée germe de fonder une structure pour faire découvrir au lectorat francophone les œuvres du patrimoine des différentes cultures européennes. Histoire de «créer des passerelles».

POUR RESTER LIBRE

Les deux premiers titres, traduits du grec, paraissent en 2005 dans la collection Les Classiques du monde que Laure Pécher dirige aux éditions genevoises Zoé. «L’éditeur pressenti  devait être Le Serpent à Plumes. Mais entre-temps, il avait été racheté par Le Rocher.» C’est une amie de Laure Pécher, l’auteure et traductrice genevoise Marie Gaulis, qui la met en contact avec son éditrice Marlyse Piétri. «Elle a tout de suite accepté. Athènes a suivi, nous soutenant via son centre de traduction littéraire.»

En parallèle, Laure Pécher s’associe à Pierre Astier pour fonder une agence littéraire, intermédiaire entre l’auteur et l’éditeur qui négocie les différents droits en France et à l’étranger. «C’était son idée, au début j’étais plutôt réticente. Mais il est toujours en avance: il a été pionnier en créant la revue Le Serpent à Plumes puis les éditions du même nom, qui publiaient des auteurs émergents.» Après le rachat «très brutal» du Serpent par Le Rocher, Astier ne souhaite pas recréer une structure éditoriale. «En Allemagne, de plus en plus d’éditeurs devenaient alors agents, raconte Laure Pécher. C’était un moyen de continuer le métier sans les problèmes de trésorerie. Une façon de rester libre. Pas besoin d’actionnaires, on travaille avec qui on veut.»

La suite semble lui avoir donné raison: le Serpent à Plumes a été racheté quatre fois depuis, avant de devenir une collection chez Desdée de Brouwer. Tandis que Pierre Astier & Associés, après bientôt sept ans d’existence, s’est taillée une belle réputation. «Nous avons une liste un peu atypique, très originale, avec des auteurs du monde entier et un accent sur la francophonie», explique Laure Pécher. Une ligne qui rappelle celle du Serpent, attentive aux auteurs francophones notamment du Québec et d’Afrique du Nord.

Banal ailleurs, le métier d’agent littéraire est méconnu en France et souvent considéré avec méfiance – «on pense que les agents ne s’intéressent qu’à l’argent et aux auteurs qui marchent.» Or dans un monde éditorial en mutation, marqué par les concentrations et par la confusion autour des droits numériques, cette vision du métier évolue. Les auteurs sont souvent en demande, selon Laure Pécher. «Ils ont face à eux un marché compliqué et mouvant. Avec les rachats, il peut y avoir de terribles conflits de loyauté lorsqu’un éditeur change de maison. Faut-il le suivre ou rester fidèle à l’enseigne? Les auteurs ont de plus en plus besoin d’un interlocuteur unique qui les conseille et les accompagne.»

LA MECANIQUE DU ROMAN

L’agent littéraire joue aussi un rôle de découverte, qui lit les manuscrits reçus et travaille sur les textes avec les auteurs. Au total, un éditeur français reçoit entre 7000 et 10 000 manuscrits par an, précise Laure Pécher. Impossible donc de suivre tous les auteurs prometteurs dont les textes posent toutefois des problèmes de structure. Et si un roman «ne fonctionne pas, malgré d’évidentes qualités littéraires, il ne sera pas publié», constate-t-elle dans Premier roman, mode d’emploi. D’où l’idée des ateliers d’écriture. «Je me suis inspirée de ceux existant pour le scénario, très répandus, et je les ai adaptés à l’écriture romanesque.» Le travail porte ici non pas sur le style mais sur la structure. «Le roman a un mécanisme interne qui lui est propre.» Elle décortique donc cette mécanique afin de permettre aux apprentis romanciers d’acquérir les bases de la technique, de la construction des personnages et des dialogues au choix du point de vue, en passant par les structures narratives et la gestion du temps. Le livre reprend le contenu du premier atelier proposé par Laure Pécher, décliné en dix séances. Le second se déroule sur une année et réunit huit participants choisis sur projet.

Ce cadre permet de briser la solitude de l’écriture et suscite un dialogue «extraordinaire», dit-elle. «Les participants se lisent, échangent sur leurs textes et pourraient à présent continuer hors de l’atelier.» Enfin, repérer les erreurs des autres est très formateur. Ainsi Laure Pécher aura elle aussi été pionnière en son domaine: «Gallimard a lancé des ateliers d’écriture, alors qu’ils étaient très sceptiques il y a quelques années», sourit-elle.

 Laure Pécher, Premier roman, mode d’emploi, Ed. Zoé, 2012, 209 pp.

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