L’auteure d’origine valaisanne publie "Hermine Blanche", vingt-neuf nouvelles parfois proches du conte: un autoportrait en fragments qui marie l’humour et l’étrange.

«Je pars d’une situation ou d’une émotion que je transpose symboliquement.» 
GUILLAUME PERRET

La petite Hermine Blanche est bien là mais son esprit s’évade dans les forêts enneigées, et ne revient pas; Chouchou, lui, se demande si ce sont ses bêtises qui ont tué grand-père; il y a cet autre garçon qui apprend de son aïeul comment tuer les insectes blessés, celui si poli qu’il n’ose appeler à l’aide, et ce petit qui ne peut s’endormir. Mais aussi des femmes qui se demandent pourquoi elles ont besoin des hommes, d’autres qui leur écrivent une lettre pour mettre les choses au point – ô paradoxes de la séduction – ou racontent leur quotidien brut; et puis ce commerçant, que la campagne étourdit, et qui fait construire des rues aux façades alignées pour y voyager sans angoisse… Les nouvelles de Noëlle Revaz sont teintées d’étrangeté, souvent proches du conte par leur force symbolique et leur dimension onirique, leur cruauté parfois, et les voix enfantines qui y résonnent.

Un «miroir brisé»

«Je pars d’une situation, d’une émotion, que je transpose symboliquement», nous confie l’auteure rencontrée dans un café d’Yverdon-les-Bains par une journée venteuse. «Je n’aime ni l’explication ni l’analyse; le texte doit proposer des images, comme dans les rêves, et faire exister tous les possibles.»

Après trois romans, tous primés, vingt-neuf de ses nouvelles sont réunies aujourd’hui dans Hermine Blanche. Ecrites entre 1996 et 2016 et agencées librement, elles forment un «autoportrait en fragments, un miroir brisé avec ses éclats, ses formes variées, ses ruptures, ses fils conducteurs». Femmes absentes ou endormies, enfants, attente, relations entre les sexes – «même si ce thème me travaille moins» – en forment les motifs chamarrés. Ainsi que la présence de la nature: la nouvelle «A la ferme» est d’ailleurs à l’origine de son premier roman Rapport aux bêtes (Gallimard, 2002), où elle inventait la langue d’un paysan rustre qui parlait de sa femme comme de ses vaches.

 

Sur scène

Le point commun de ces textes? Tous travaillent la langue. Noëlle Revaz porte une attention fine à sa mélodie, à son tempo. Chacun est un petit laboratoire qui explore en toute liberté un univers et un style. «La nouvelle va droit au but, voix et contenu dans le même élan», glisse-t-elle de son timbre doux, avec cette sorte de grâce flottante qui la caractérise, mélange de délicatesse rêveuse et d’assurance. Et si le recours aux masques de la fiction lui est nécessaire, la musique de la langue, la voix, sont tout aussi centrales.

Plusieurs de ses nouvelles ont d’ailleurs été écrites pour la radio: entre 1995 et 1996, après ses études de lettres à l’université de Lausanne, la jeune femme née en 1968 dans la commune valaisanne de Vernayaz livre chaque semaine une nouvelle sous le pseudonyme de Maurice Salanfe. «C’était pour me cacher car je n’aimais pas ce que j’écrivais...» Sacré défi en effet, et intensive école d’écriture: «Je finissais au dernier moment et n’avais aucun recul. Le lendemain, ce qui n’allait pas me sautait à la figure.» Elle cherche à se libérer du bon français, ce «beau style» inculqué par ses lectures, et de l’image «sérieuse et inhibante» de l’écrivain. C’est après la pause estivale que se produit le déclic: elle commence à écrire à la première personne et au présent, ce qui transforme radicalement rythme et syntaxe.

Pendant les dix ans qui suivent, Noëlle Revaz n’écrira que des monologues – et retrouvera la troisième personne dans  son roman Efina (Gallimard, 2010). Certains de ses textes ont été adaptés pour le théâtre, comme le grinçant «Quand Mamie», publié dans Hermine Blanche, qui s’attache aux désirs et aux rêves sans cesse remis à plus tard. Avec son compagnon, le poète alémanique Michael Stauffer, Noëlle Revaz se produit elle-même régulièrement sur scène au sein du duo Nomi Nomi 1, qui joue avec les genres et les langues – le couple vit d’ailleurs dans la bilingue Bienne, où elle enseigne l’écriture à l’Institut littéraire suisse.

Oralité toujours avec la pièce pour enfants Les Trois petits cochons, en tournée romande jusqu’à fin mars, et avec le collectif d’auteurs et musiciens suisses Bern ist überall, qu’elle a quitté en juin dernier: pendant huit ans, elle y écrit pour la scène des textes courts plein d’humour sur les petits paradoxes de la vie et autres situations cocasses. «Mais je ne me renouvelais plus assez et je voulais me recentrer sur l’essentiel et l’écriture de textes plus longs après la naissance de mon fils.»

 

L’enfance vive

Un événement qui lui a donné de la force et des idées, dit-elle. «Je suis plus créative et légère, je me concentre sur ce qui compte vraiment. Le regard neuf d’un enfant sur le monde est très inspirant.» On devine l’enfance toujours vive en elle, la fraîcheur du regard, une légère distance au monde où peut se glisser l’humour, tendre et ironique, qui traverse aussi ses textes. «Je porte un œil amusé sur ce que j’écris et sur mes personnages, je ne peux pas m’empêcher de me moquer gentiment d’eux.» Une façon de dire qu’il ne faut pas prendre l’écriture – et la vie – trop au sérieux. «Ce décalage existe pour moi et je l’indique au lecteur. L’humour est aussi une manière d’alléger certaines situations cruelles, une élégance qui évite de tomber dans le cliché. Comme dans l’histoire d’amour d’Efina

Il infuse aussi son troisième roman, L’Infini livre (Zoé, 2014), satire mordante du discours médiatique autour des livres. «J’avais entendu un présentateur à la télévision demander combien pesait le dernier Musso!», rit-elle. «C’est un discours vidé de sa substance, où tout reste à la surface, qui n’a plus le temps de la profondeur.»

Or «il faut du temps pour découvrir comment être autrement dans un texte». Car le sujet appelle à chaque fois sa langue propre, à inventer. L’imparfait de L’Infini livre la «contamine» encore et elle dit être restée longtemps avec le paysan de Rapport aux bêtes. «L’écriture demande de se jeter à l’eau, elle est un processus et une expérience qui ouvre des portes intimes, des lieux imprévus.» Dans cette aventure, le dispositif du style est pour elle autant un garde-fou qu’une bride. «La langue travaillée est un guide qui m’aide mais me dirige: je souhaite à présent oser une langue plus simple et transparente afin de découvrir des choses encore plus inattendues.» Car c’est pour cela qu’elle écrit: apprendre ce qu’elle ne savait pas et créer des possibles.

 

1. A voir le 15 mars 2017 à 20h au Café littéraire de Vevey, puis dans les médiathèques valaisannes dès le 4 mai.

Noëlle Revaz, Hermine Blanche et autres nouvelles, Gallimard, 2017, 278 pp.

https://www.lecourrier.ch/147578/noelle_revaz_ouvrir_des_possibles