FRANCE Sociologue, écrivain et homme politique, Azouz Begag raconte son expérience de ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances dans un livre à charge contre Nicolas Sarkozy. Entretien.

 

Les discriminations, il les connaît de l'intérieur: Azouz Begag a grandi dans la banlieue lyonnaise, où il naît en 1957 de parents d'origine algérienne. En juin 2005, il est nommé ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances par le premier ministre français Dominique de Villepin. Beau parcours pour cet enfant des «quartiers» devenu docteur en économie, qui a mené de front trois carrières – romancier, politicien et sociologue – sans perdre de vue ses origines. En tant que chercheur au CNRS, il a travaillé sur la mobilité des populations immigrées dans les espaces urbains; et, dans la vingtaine de livres qu'il a publié – essais, romans, nouvelles –, il aborde les problèmes rencontrés par les jeunes Français d'origine maghrébine.

Mais l'ambiance devient vite étouffante au ministère délégué – un organe sans administration ni budget. Lors de la crise des banlieues, Azouz Begag se heurte à la sémantique guerrière de Nicolas Sarkozy et se marginalise peu à peu au sein du gouvernement. Il attendra avril 2007 pour démissionner: une manière de «retrouver sa liberté de parole» juste avant la sortie de son livre Un Mouton dans la baignoire, chronique de ses deux ans d'expérience gouvernementale et charge contre Nicolas Sarkozy. Aujourd'hui, Azouz Begag se présente aux élections législatives sous la bannière du MoDem. Interview.

 

On vous a souvent taxé de ministre alibi. Considérez-vous cette expérience comme un échec?

Azouz Begag: Pas du tout, au contraire. Je savais que j'étais un ouvreur de portes, d'horizons, de mentalités... et que cela avait un coût pour ma personne. J'avais dit qu'il fallait banaliser la présence de ministres issus de la diversité française. Et voilà le résultat avec Rachida Dati! J'ai réalisé un gros travail de lutte contre les discriminations, nommé des préfets à l'égalité des chances, promu une charte de la diversité en entreprise signée par plus de 3000 patrons... autant de choses irréversibles. Une des leçons que je tire de mon expérience est celle du courage, des valeurs et des convictions qu'il faut savoir garder en politique, coûte que coûte. De plus, je crois qu'il faut toujours des ministres issus de la société civile dans un gouvernement... pour l'oxygénation de la vie politique.

Vous êtes candidat à la députation. En 2006, vous aviez dénoncé le fait que l'assemblée compte très peu d'élus d'origine arabe ou africaine. Comment y remédier?

– Il faut changer les mentalités, progressivement. Ça avance, mais pas assez vite. A l'assemblée nationale, il faut de la proportionnelle pour faire entrer la diversité. Mais avec tout ce que Sarkozy candidat a raconté sur l'excision des filles chez les immigrés, la polygamie, les moutons égorgés dans la baignoire des appartements... la diversité aura du mal à se frayer un passage dans ses discours nationalistes.

La gauche française a aussi échoué, notamment sur l'intégration des Harkis, Français issus de l'immigration.

– La gauche est responsable de vingt-cinq ans de retard sur les questions d'intégration des enfants d'immigrés en France. Une génération de promesses non tenues! Un record mondial.

Que pensez-vous du nouveau Ministère de l'immigration et de l'identité nationale créé par Nicolas Sarkozy ?

– C'est un beau cadeau aux électeurs de Le Pen. Un gage de nettoiement au Kärcher de cette immuable identité française, pensent-ils... une honte! Quand je pense que cet homme m'a insulté en me disant «fissa fissa, dégage de là, toi!» alors que j'étais son collègue ministre...

Vos rapports avec Sarkozy se sont rapidement tendus, notamment après sa sortie sur le Kärcher. Pourquoi ne pas avoir démissionné à ce moment-là ou après les émeutes des banlieues?

– Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, alors chef du gouvernement, voulaient que je jette l'éponge. Moi pas. Alors j'ai décidé de sortir du gouvernement à mon heure. Pas de coup de boule, mais de la sérénité et du courage, tel était mon état d'esprit. Je l'ai fait dans la dignité de mes ancêtres et des gens de valeurs. Mon père m'a appris à nourrir cette valeur essentielle qu'est la dignité, et le respect de soi.

Un Mouton dans la baignoire est-il l'oeuvre de l'écrivain ou de l'homme politique?

– Les deux. Les artistes créateurs doivent plus que jamais s'engager en politique aujourd'hui, pour lutter contre cette société people du rejet de l'autre que le sarkozysme nous a préparée. Je suis écrivain et politique, fier de ces deux engagements.

Vous relatez des propos de Nicolas Sarkozy d'une rare violence à votre encontre. Il a menacé de vous «casser la gueule»... Avez-vous été surpris par l'intensité des luttes de pouvoir, la violence en politique, la bêtise...?

– Quand on est enfant de pauvre comme moi, enfant des bidonvilles, la violence en politique c'est du trois étoiles de luxe. Les crapuleries à la Sarkozy sont du pain quotidien depuis notre tendre enfance... La bêtise en politique, c'est pire! J'ai constaté qu'il est plus facile de gagner des élections en faisant descendre le niveau des débats qu'en l'élevant. Sarkozy l'a abaissé sans scrupules. Il a gagné avec l'extrême droite et les moutons musulmans égorgés dans les baignoires de France.

N'avez-vous pas été tenté de vous consacrer à nouveau à la seule écriture?

– Non. Ecrire n'est pas suffisant. Avoir des lecteurs qui deviennent des électeurs, c'est mieux. Avant de m'élire, il faut me lire, c'est mon slogan.

Une contribution de l'écrivain Eugène Ebodé complète cet article, voir http://www.lecourrier.ch/azouz_begag_ecrire_ne_suffit_pas