Le bouddhisme pour retrouver un rapport poétique au monde

GENÈVE - Pour le photographe et philosophe Fabrice Midal, l'art et la méditation offrent une expérience du sacré. Entretien avant sa conférence à la Fondation Bodmer.

 

 

S'il est à la mode en Occident, le bouddhisme est souvent perçu de manière fantaisiste et empreinte de préjugés. Religion pacifique qui permet de fuir la réalité? Pratique de «développement personnel» par la méditation?1 «Hors de toute connotation religieuse et dogmatique, le bouddhisme est pour moi du côté de la poésie et de la liberté», explique le Français Fabrice Midal, auteur de Introduction au tantra bouddhique: l'incandescence de l'amour (Ed. Fayard 2008).
Docteur en philosophie et artiste plasticien, il enseigne la photo à l'université Paris VIII et ses recherches tournent autour d'une question centrale: qu'est-ce qu'un art sacré aujourd'hui? Au fil de plusieurs ouvrages – de Quel bouddhisme pour l'Occident? (Seuil 2006) à Petit traité de la modernité dans l'art (Pocket, 2007) –, il interroge les liens entre arts occidentaux et tradition orientale. De ce soir à dimanche, il donnera à Genève un cours sur la méditation et une conférence samedi à la Fondation Bodmer, «Le tantra comme voie poétique».

Comment votre questionnement autour de l'art vous a-t-il mené au bouddhisme?

Fabrice Midal: Je me demandais comment redonner aux oeuvres le sens que je sentais être le leur: quelque chose de radical se joue dans l'expérience éprouvée face à une oeuvre d'art, qui touche à une vérité profonde. En philosophie, j'ai interrogé le rapport entre la phénoménologie de Heidegger et le bouddhisme dans leur lecture de l'art moderne. Puis j'ai étudié l'histoire de l'art et les arts plastiques, mais aucun ne rendait compte de cette émotion artistique: on se trouve vite en face d'un discours technique ou historique, où l'information prend le pas sur l'expérience elle-même.
Le bouddhisme m'a intéressé non en tant qu'approche religieuse, mais pour sa pratique de la méditation. Elle ouvre une dimension de silence et de présence, comme lorsqu'on écoute un concert – il faut faire silence en soi pour être présent à la musique. Nous avons perdu ce rapport au silence vivant, dans lequel il est possible d'écouter l'autre et l'oeuvre d'art. Le bouddhisme offre une manière d'aborder l'expérience poétique et donne une place au sacré dans notre vie, dont l'art est témoin.

Il est important pour moi de relier la pratique de la méditation, c'est-à-dire l'expérience de cette relation au présent et au sacré, à nos racines occidentales: je l'intègre dans ma vie ici et maintenant, sans changer de culture.

Votre conférence mettra en relation tantra et poésie occidentale...

– Le tantra n'est pas une technique sexuelle, mais une confiance dans le monde symbolique. Les couleurs, par exemple, ont une force de radiation à laquelle il s'agit d'être ouvert. Le lien entre le tantra et l'Occident se trouve dans la poésie: le poète est celui qui écoute ce rayonnement des couleurs, cette énergie du monde. Quand je parle de poète, j'inclus tous les arts: je veux parler d'une attitude face au monde.

Qu'est-ce qui lie ces artistes et le bouddhisme?

– Je ne fais pas un rapprochement hasardeux entre bouddhisme et art occidental, et je ne veux pas absolument tout tirer vers le bouddhisme; mais tous les poètes, même s'ils n'ont pas un contact direct avec lui, ont une relation au monde faite de présence et d'émerveillement, ce regard de l'enfant. Enfin, le bouddhisme a joué un rôle important dans l'art moderne en mettant en relation l'oeuvre et l'intériorité, en ouvrant un rapport au sacré libéré du carcan iconographique chrétien – auparavant, les oeuvres représentaient le Christ. Kandinsky, Rothko, Malevitch, Viola... tous ont un lien au sacré. Tout comme Rimbaud et Rilke, qui sont au coeur de mon dernier livre et de ma conférence.

Que peuvent apporter poésie et bouddhisme à la pensée occidentale?

– On nous a inculqué la légende d'un monde mort, où on peut couper les arbres ou tuer des milliers de vaches par peur de la maladie... Mais la réponse aux ravages écologiques, par exemple, ne passe pas uniquement par des solutions techniques: il s'agit aussi de retrouver un rapport poétique au monde, alors que celui-ci est régi par la haine de la poésie et par l'efficacité à tout prix. Bouddhisme et poésie aident à renouer avec notre regard d'enfant, à faire confiance en quelque chose qu'on sait déjà mais auquel on n'ose plus croire: le monde est sacré. Les poètes éprouvent et font éprouver l'expérience de cet enchantement du monde. I

 

1 Lire notre édition du 29 mars 2008.

> Sa 12 avril 2008 à 18h, conférence «Le Tantra comme voie poétique», Fondation Bodmer, 19-21 route du Guignard, Cologny (GE). La Fondation expose en parallèle des manuscrits tibétains et indiens. www.fondationbodmer.org

> Deux week-ends «Apprendre à méditer», par Fabrice Midal: du ve 11 au di 13 avril et du ve 13 au sa 15 juin, Château Bruyant, Maison des Enfants du Quartier des Pâquis, 14 rue des Buis, Genève. Rens. et inscriptions: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., tél: 022 731 12 68.

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