DÉPART  Daniel Sastre, typographe au «Courrier», prend sa retraite, après avoir débuté son apprentissage en 1957. Entretien.

 

 

A 65 ans, Daniel Sastre prend une retraite bien méritée après cinquante et un ans passés au service de la typographie. C'est dire si les cicéros, demi-cadratins et autres esperluettes n'ont aucun secret pour lui. Daniel est également un témoin privilégié de l'évolution du métier de typographe qui, de l'imprimerie au plomb, a dû s'adapter à l'arrivée d'une balbutiante informatique puis des nouvelles technologies. Rencontre avec un homme de caractère.

Tu as fait un apprentissage de typographe en France, où tu as commencé ta carrière. Comment es-tu arrivé au Courrier? Car c'est là que tu as été engagé à ton arrivée en Suisse romande, il y a plus de quarante ans...

Daniel Sastre: Après mon apprentissage, à 18 ans, j'ai travaillé une année pour un journal en Champagne. A l'époque, en France comme en Suisse, chaque journal avait sa rotative. Pour des raisons économiques, les imprimeries étaient séparées en deux secteurs: l'un destiné au journal, l'autre éditait les livres. Je travaillais dans ce dernier. Puis j'ai dû partir à l'armée; j'ai alors appris que les deux imprimeries allaient fusionner et déménager à Chaumont. C'était trop loin pour moi. J'ai trouvé un travail à Vesoul, mais je n'y suis pas resté longtemps: c'était pire qu'à l'armée! C'est par le journal de mon syndicat que j'ai appris que la Suisse cherchait des typographes. Il m'a mis en contact avec son homologue suisse, le Syndicat du livre et du papier (prédécesseur de Comedia, ndlr), qui m'a demandé si je voulais travailler au Tessin, en Suisse alémanique ou romande... J'ai trouvé ça drôle! Puis on m'a orienté vers Le Courrier. C'était en 1964.

Le journal était à la rue du Vieux-Billard et possédait lui aussi ses deux imprimeries; après deux mois aux livres, j'ai passé une année à préparer les annonces pour le journal. En 1965, je suis parti au Journal de Genève, où je suis resté trente-deux ans. Quand il a fait faillite, après deux ans de chômage, j'ai à nouveau postulé au Courrier qui cherchait des polygraphes: en 1999, il avait décidé de cesser de travailler avec l'imprimerie Saint-Paul, à Fribourg, et d'imprimer le journal à Genève, donc de rapatrier tout le secteur prépresse entre ses murs. Avec deux collègues, nous avons mis sur pied la nouvelle organisation.

J'ai aimé travaillé ici, l'ambiance est différente qu'ailleurs, plus sympa, plus détendue. Peut-être parce que l'équipe est jeune.

 

En quarante ans, le métier s'est complètement transformé.

Quand j'ai commencé, on travaillait avec du plomb. Le typographe mettait en page les livres, cartes commerciales et de visite, etc. Pour faciliter le travail du typo, le linotypiste lui transmettait des lignes blocs: les phrases entières étaient composées sur un clavier avant d'être fondues dans du plomb. On travaillait donc ligne par ligne, non avec des caractères séparés, c'était plus rapide. Mais s'il y avait une faute, cela obligeait à retaper tout le paragraphe. Puis vint la technique de la monotype: au lieu de recevoir des lignes soudées, le typographe recevait les phrases lettre par lettre, dans l'ordre: une bande de papier perforé formait les lignes avant de passer chez les fondeurs. Dans les deux cas, les lignes étaient utilisables une seule fois, puis refondues.

On montait beaucoup de pages – 8 à 12 chaque soir –, et on bouclait aussi vers minuit, les délais dépendant de la poste. Mais c'était plus facile qu'aujourd'hui, car plus rigide: il y avait trois ou quatre modèles à remplir, quelques pubs, la maquette était peu variée.

 

Comment as-tu réussi à t'adapter?

Je me suis toujours tenu au courant. Au Journal de Genève, j'étais d'abord typo et je m'occupais des tableaux – filets, mise en page, etc. Quand on a commencé à parler de l'informatique, sans vraiment savoir ce que c'était, j'ai demandé à être claviste – qui tape les textes sur la monotype. Le Journal de Genève a commencé à tester l'informatique dans ses deux imprimeries, avec deux systèmes différents. J'ai demandé à travailler dans celle qui s'occupait du journal, où je me suis formé sur le tas. J'ai aussi suivi un cours d'un mois à La Suisse – qui avait encore un autre système!

 

Qu'est-ce qui a changé dans l'esprit du métier?

On était très syndiqués à l'époque. Quand je suis arrivé au Courrier en 1999, c'est même la première chose qu'on m'a demandé... J'ai fait toutes les grèves. C'était nécessaire si on voulait avoir du poids face aux patrons. Beaucoup avaient peur des représailles, mais comme on était nombreux, cela nous donnait de la force. Aujourd'hui les gens n'osent plus, il règne une sorte de résignation. Les polygraphes sont rarement affiliés à un syndicat, chacun est plus isolé.

 

Que vas-tu faire de ta retraite?

Prendre des vacances!

 

http://www.lecourrier.ch/du_plomb_a_internet