Journal d’une émancipation

Artiste plasticienne, Gabriella Zalapí revisite un passé familial cosmopolite dans un premier roman qui plonge dans l’intimité d’une femme étouffée par sa vie bourgeoise.

«Ce matin, lorsque j’ai ouvert les yeux, j’étais incapable de bouger.» Dans le Palerme des années 1960, au cœur de la haute bourgeoise, Antonia s’étiole et étouffe entre un mari qui la méprise, un fils qu’elle n’arrive pas à aimer et une Nurse glaciale. Quand elle partage ses doutes à son grand-père bien-aimé venu en visite, celui-ci prend le parti du mari, la renvoyant à sa position d’épouse qui doit tenir son rang. C’est dans un style sec, aiguisé comme une lame, que Gabriella Zalapí détaille au jour le jour, ou presque, ce quotidien délétère, dans un premier roman qui prend la forme d’un journal: dans ce milieu hostile à l’atmosphère suffocante, avec la solitude et l’ennui pour tout horizon, Antonia confie à son cahier ses «journées-lignes».

Entre février 1965 et novembre 1966, on y lira au final la radiographie d’une émancipation féminine: à la mort de sa grand-mère, la jeune femme reçoit des boîtes pleines de lettres et de photos; revisiter son enfance et le passé familial lui donnera la force de se libérer du poids des conventions.

De l’art du montage

A partir de ces documents, Gabriella Zalapí restitue l’histoire d’une famille cosmopolite qui traverse le siècle, des Bahamas au Tyrol, de la Suisse à l’Italie, d’un grand-père juif qui a dû quitter Vienne à une dynastie anglaise en Sicile. En relisant son enfance ballottée par l’histoire, entre rêves brisés et déchirements, Antonia donnera un nouveau sens à sa vie.

Artiste plasticienne formée à la Haute Ecole d’art et de design à Genève, Gabriella Zalapì a des origines anglaise, suisse et italienne, et vit à Paris. Puisant son matériau dans sa propre histoire familiale, son travail artistique agence photos, archives et souvenirs dans un jeu troublant entre histoire et fiction, pour s’interroger sur la manière dont se construit l’identité. Cette recherche prend pour la première fois une forme littéraire, le texte d’Antonia. Journal 1965-1966 étant par ailleurs ponctué de photos qui ajoutent à sa puissance évocatrice. Un premier roman percutant, où la forme du journal tient d’un subtil art du montage – entre textes et images, strates temporelles, fiction et documentaire –, qui laisse aussi au lecteur des plages de silence et de liberté.

 

Gabriella Zalapí, Antonia. Journal 1965-1966, Ed. Zoé, 2019, 112 pp.

https://lecourrier.ch/2019/01/17/journal-dune-emancipation/