Cartographie intime
Avec "Le Périmètre intérieur", Marc van Dongen délaisse la fiction pour tenter un récit autobiographique par le prisme des lieux d'une vie, mettant avec finesse deux territoires en résonance.
Enseignant de français, Marc van Dongen est un auteur rare. Son troisième titre (après L’Ecart dans le sens du voile en 1995 et Ici déluge en 2000) délaisse la fiction pour tenter une manière d’autobiographie oblique, par le prisme des lieux d’une vie. Ce qu’on voit nous constitue aussi, images et atmosphères jouent un rôle sur nos ressentis, négatifs comme positifs. Fort de cette intuition, l’auteur arpente une géographie à la fois bien réelle et très intime dans Le Périmètre intérieur, petit livre dense à l’écriture magnifiquement ciselée paru cet automne.
Arrivé à Genève à l’âge de 7 ans, Marc van Dongen lie son sentiment d’inadéquation et de solitude à la ville, qui déteint sur sa psyché d’angoissé chronique «pétrie de mornes images d’artères à gros trafic, de carrefours, d’immeubles de banlieues et d’allées plantées de micocouliers». Du quartier des Acacias de son enfance au chemin Galiffe, qu’il parcourt pour mener son fils à la crèche, en passant par les bords du Rhône, la Place des Volontaires ou l’avenue du Curé-Baud, se dessine, en près de trente lieux, une cartographie de la mémoire.
Enfance, adolescence, première relation, rupture… les étapes d’une existence sont scandées par des lieux emblématiques, des déménagements. Dans cette traversée du temps et de la ville, le narrateur parcourt sans complaisance ses espaces intérieurs, larges allées ou recoins sombres. Entre mélancolie et cynisme, spleen et autodérision, en longues phrases acérées et précises, il trouve la juste distance pour évoquer la banalité du quotidien et les aléas d’une vie. Rien d’impudique, dans cette poétique du décalage, au contraire: au fil de ce qui s’approche d’un journal extime, le narrateur s’efface au profit du regard qu’il pose sur le monde, comme si écrire les lieux lui permettait (enfin) de se perdre de vue.
Si les chapitres ne s’enchaînent pas de manière romanesque, ils dessinent pourtant un chemin, celui vers l’apaisement et la paternité, décrite avec une infinie tendresse. La relation de l’enfant aux lieux est «celle d’un sage ou d’un chiot», son regard neuf éclaire autrement la ville, opérant un dernier et émouvant décentrement. «Qu’il est libérateur, pourtant – qu’il est délicieusement bon –, qu’il est prodigieux, même, de la voir par instants à travers d’autres yeux que les miens.»
Marc van Dongen, Le Périmètre intérieur, Ed. d’autre part, 2018, 100 pp.