L’île et l’étranger

 

"200 mètres nage libre", la deuxième fiction de Pauline Desnuelles, évoque les difficultés d’une relation authentique entre un Occidental qui a choisi de se réinventer dans un ailleurs rêvé, et les habitants d’un Cap Vert bien réel, qui subissent leur isolement.

 

Liam a quitté son Irlande natale pour s’installer au Cap Vert, où il enseigne le kitesurf aux touristes et noie un chagrin d’amour dans la bière et les bras d’une jeune baroudeuse polonaise. Sur l’île balayée par les vents, il mène une existence tranquille et a noué quelques amitiés.

 

Alors que les autochtones ont avec l’océan un rapport tissé de peur et de respect – on y pêche, on n’y nage pas –, il y donne aussi gratuitement des cours de natation aux enfants. Mais le jour du championnat, alors que chacun va fièrement démontrer ses progrès, la jeune Elea, adolescente gracieuse et douée, a disparu. Soudain hostiles, les regards se tournent alors vers celui subitement redevenu l’étranger, désigné comme responsable du drame. Comment réparer, comment surmonter sa culpabilité? Liam sombre. Et l’exotisme de l’île, ses images colorées et sa musique émouvante, laissent place à une face plus sombre.

 

Traductrice française installée à Genève, Pauline Desnuelles interroge avec sensibilité la possibilité de la rencontre entre deux mondes très différents – une thématique qui la touche, puisqu’elle retraçait le parcours d’une vingtaine de personnes émigrées à Genève dans D’ailleurs, les gens (Ed. des Sables, 2016). Après un premier roman, Au-delà de 125 palmiers (Ed. de la Rémanence, 2015), sa deuxième fiction évoque ainsi les difficultés d’une relation authentique entre un Occidental qui a choisi de se réinventer dans un ailleurs rêvé, et les habitants d’un Cap Vert bien réel, qui subissent leur isolement. Les rayons des magasins à moitié vides, les hautes écoles inexistantes, le trafic de drogue endémique, l’alcoolisme, la pauvreté… Quel horizon reste-t-il aux jeunes? Liam est-il coupable de leur avoir insufflé des idées de liberté, par le simple bonheur du corps qui dépasse ses peurs et ses limites?

 

Sensuelle et délicate, l’écriture de Pauline Desnuelles sait restituer l’atmosphère chaude et mélancolique de l’île, le sentiment d’étrangeté de Liam, ses fêlures, le temps qui s’étire, les prémisses d’un amour fragile. Style sobre, courts chapitres au présent, le lecteur glisse avec fluidité dans ce 200 mètres nage libre, comme porté lui aussi par les vents et les courants de l’île.

 

 

 

Pauline Desnuelles, 200 mètres nage libre, Ed. Emmanuelle Collas, 2018, 146 pp.

https://lecourrier.ch/2018/07/06/lile-et-letranger/