Terre promise en plastique

La Terre tremblante, onzième titre de Marie-Jeanne Uresch, même l’absurde et la poésie pour évoquer l’état alarmant du monde.

 

Marie-­Jeanne Urech a l’imagination fertile. Avec une audace enfantine et une bonne dose d’humour, elle fait de ses romans d’étonnantes fables aux penchants fantastiques, qui épinglent nos travers contemporains. Ainsi La Terre tremblante, son onzième titre, mêle à nouveau l’absurde et la poésie pour évoquer l’état alarmant du monde.

Après la mort de son père, Bartholomé de Ménibus quitte son village pour voir de l’autre côté de la montagne. Mais ce qui devait être le voyage d’un jour se transforme en tour du monde. Car après la première colline, il y en a une autre, puis une autre encore… Le voyageur traversera ainsi différents univers, mondes parallèles aux règles souvent obscures qui en disent beaucoup sur notre relation à l’autre et à la nature.

Il y a par exemple cette ville verticale, mégalomane, où des milliers de porcs sont élevés dans des tours gigantesques; une cité bâtie sur le trafic de cheveux, une autre régulièrement noyée sous les égouts; il y a ces vieux, qu’on abandonne sur le bord de la route lors des départs en vacances, un cimetière nucléaire, un ascenseur cosmique qui emmène notre héros nettoyer l’espace… Autant de dystopies derrière lesquelles se profilent les ravages de l’industrie agroalimentaire, le trafic d’organes, les problèmes de l’eau, des déchets et de la pollution, la productivité et l’accélération constante qui asservissent l’humain… Si la liste est déprimante, le ton de la fable permet à l’auteure vaudoise de rester sur le fil d’une légèreté trompeuse

Au terme de ce voyage initiatique, Bartholomé échouera sur un continent de plastique, Robinson d’un genre nouveau qui envoie à la mer des bouteilles racontant son périple. Ce sont elles que découvre Rose, son amie boiteuse partie à sa recherche, dont la parole émaille le récit. Si elle en retrouve certaines, juxtaposées ici à ses propres lettres, d’autres manquent: le voyage de Bartholomé est laissé lacunaire, et le récit elliptique. Ce qui n’empêche pas d’en suivre le fil, cousu par ce grand amour.

«Les thèmes et les procédés narratifs ou stylistiques, les images, tout s’entrelace pour rendre ce récit apparemment limpide irréaliste et subversif, écrit Pierre-Yves Lador dans une postface éclairante. Sa simplicité est baroque, sa linéarité protéiforme. Il effrite les dogmatismes.» Derrière le jeu des mots-valises et des symboles, derrière la fable écologique ingénue, La Terre tremblante pointe un humanisme inquiet.

 

Marie-Jeanne Urech, La Terre tremblante, Ed. Hélice Hélas, 2018, 118 pp.

https://lecourrier.ch/2018/07/06/terre-promise-en-plastique/