Des images contre le silence

Avec "Hériter du silence", Mathias Howald signe un premier livre pudique et troublant, sorte d’enquête intime sur son père disparu.

C’est un texte éminemment pudique et troublant que signe Mathias Howald avec Hériter du silence, son premier livre. Mathieu, alter ego de l’auteur, vient de perdre son père, décédé d’un cancer sans qu’il n’ait rien pu faire. «Pas plus que j’ai réussi à t’extraire de ce silence assassin, ce nodule qui a poussé sur les liens de filiation et qui constitue mon premier héritage», note-t-il. Alternant passages à la première personne, où le narrateur s’adresse à son père en 2012, et plongées dans le passé mettant en scène l’enfance et la jeunesse de Pierre – le père –, il s’engage alors dans une enquête intime afin de soulever ce voile de silence qui s’est attaqué aux souvenirs communs et a «dépeuplé son enfance».

A défaut de mots et de contacts physiques, restent les images: son père, qui avait reçu un Leica de son grand-père maternel, était photographe de métier, propriétaire d’un magasin – une espèce disparue. Hériter du silence s’ouvre par la description attentive des gestes de Pierre dans le labo de développement de la salle de bains – le voilà, son langage à lui. «La dernière transformation, celle qui consiste à passer de l’image aux mots, celle qui consacre l’image dans son contexte, historique et émotionnel, me manquera toujours», note Mathieu. A lui, dès lors, de faire parler les photos. Feuilletant les albums de famille d’où surgissent, poignantes, les années 1960 à 1980, il tente de substituer aux blancs du récit le discours des images.

Paradoxalement, son père y figure rarement puisqu’il est derrière l’objectif: il lui faudra contourner cette absence, interpréter son regard, pour se réapproprier une histoire. Ce délicat exercice fait surgir d’autres protagonistes: la mère Aline, les grands-parents des deux côtés, les oncles et tantes… Se dessine peu à peu le tableau de l’enfance de Pierre, marquée par une mère inadéquate: artiste peintre, dépressive, Murielle cache un douloureux secret et ne parvient pas à s’occuper de ses enfants. Engouffrés dans cette faille ancienne, les mots sont devenus dangereux. Le silence instaure une distance, une barrière de protection, il est une «matière invisible mais dense qui te mettrait, espérais-tu peut-être, hors d’atteinte du mal», comprend Mathieu.

Dans son exercice de réconciliation, Mathias Howald – par ailleurs membre du collectif d’écriture lausannois Caractères mobiles – relie aussi ce silence hérité à une époque et une culture où parler de soi n’était pas courant. Son récit d’une grande finesse, s’il est parfois un peu trop explicite, déborde ainsi l’intime pour toucher plus largement. C’est aux fils qu’échoie aujourd’hui la tâche de renouer avec la parole, avec sa puissance. Retrouvée, offerte, elle permettra à Mathieu de «refaire l’itinéraire des larmes». Et il n’est pas anodin que la première fois qu’il pleure son père, c’est face au brouillon du poème que celui-ci a écrit pour sa naissance.

 

Mathias Howald, Hériter du silence, Ed. d’autre part, 2018, 183 pp.