Rêves de garçons

Le dernier roman de Max Lobe évoque les enjeux de la migration, le terrorisme et l'éveil à la sensualité, avec grâce et humour.

 

On retrouve avec plaisir sa verve et son humour, le rythme d’une prose chamarrée qui emprunte sa musique et ses expressions à celles de la rue – les quartiers de Douala, Cameroun, où il a grandi avant d’arriver en Suisse à l’âge de 18 ans. Max Lobe sait en effet créer un univers en quelques phrases, donner une voix singulière à ses personnages en recréant une langue savoureuse. A ce titre, Confidences (Prix Ahmadou-Kourouma 2016), ou l’histoire de l’indépendance du Cameroun racontée par une vieille femme, était remarquable.

Bien que moins ambitieux, Loin de Douala, son cinquième roman, évoque avec la même gourmandise contagieuse le périple de deux amis à travers le pays. Accompagné de Simon, Jean, le narrateur, part à la recherche de son frère Roger. Les deux premiers sont des étudiants prometteurs, le dernier a fui la maison après la mort de leur père, ultime rempart contre les coups d’une mère qui ne voit en son aîné que le mal… alors qu’elle est tout sucre avec Jean, son «choupinours» adoré. Roger veut poursuivre son rêve: devenir footballeur professionnel. Pour cela, il doit faire boza, soit quitter le pays via le Nigeria en suivant la filière clandestine.

Sur le fil

Laissant leurs mères éplorées, Jean et Simon se heurtent bientôt à la rudesse de la route, rencontrent des personnages plus ou moins louches, découvrent la nature splendide d’un Nord sinistré par Boko Haram. Au cours de ce qui a tout du voyage initiatique, le raisonnable et timoré narrateur prendra conscience de son attirance pour Simon et apprendra le secret de sa mère…

Si Max Lobe aborde des thématiques sérieuses – le terrorisme, la pauvreté, l’exil, l’homosexualité, la violence –, elles surgissent dans le flux du récit de manière vivante, imagée, portées par sa gouaille et son empathie lucide envers ses personnages. On se laisse ainsi entraîner dans des scènes réjouissantes, des funérailles du père à la bigoterie de la mère, d’une partie de foot à un voyage en bus, de bars animés à une fouille en règle… Et c’est tout un monde qui surgit, sensible et sensuel, tandis que Loin de Douala danse en équilibre sur le fil entre gravité et légèreté.

 

Max Lobe, Loin de Douala, Ed. Zoé, 2018, 176 pp.

https://lecourrier.ch/2018/04/06/reves-de-garcons/