Roman choral autour d’une grossesse invisible

 

 Violaine Bérot fait le récit d’un déni de grossesse de manière très fine et originale dans "Tombée des nues".

 

Baptiste et Marion vivent dans un village reculé des Pyrénées, où ils ont repris une ferme et élèvent des chèvres. Une nuit d’hiver, Marion accouche d’une petite fille, à sa grande stupéfaction. C’est Dédé, le voisin éleveur de vaches, qui leur viendra en aide, pour les conduire à l’hôpital sur les routes enneigées.

 

 

Tombée des nues fait le récit de ce déni de grossesse en donnant la parole à sept protagonistes: l’institutrice à la retraite, une sage-femme, Dédé, un proche ami du couple, la mère de Marion, et enfin les nouveaux parents sous le choc. Chacun porte sur l’événement son regard singulier, sa sensibilité propre. C’est ainsi à travers un kaléidoscope de points de vue qu’on entre dans le troisième roman de Violaine Bérot, l’auteure française inventant pour chacun une langue différente, un accent, un registre. Davantage encore, elle propose au lecteur une lecture à plusieurs sens.

 

 

Tout le livre tient en une seule longue phrase, sans points ni majuscules, comme un souffle, une respiration qui se lit d’une traite. Mais cette coulée est découpée en brèves sections numérotées, que l’auteure propose de parcourir via deux itinéraires différents: selon la chronologie, en suivant les chapitres qui portent les noms de jours de la semaine (dans ce cas, Tombée des nues se lit «normalement»); ou selon les personnages – il faut alors suivre les numéros indiqués par l’auteure, sauter dans le roman au gré des fragments correspondants à tel ou tel protagoniste. C’est cette dernière lecture qu’on a choisie, qui nous immerge successivement dans différentes subjectivités autour d’un événement mettant en lumière les peurs, les désirs et les émotions de chacun.

 

 

Dans les deux cas, l’intrigue se dévoile peu à peu, au fil d’intimités croisées. Cette alternance des voix fait sens: il n’existe pas de vérité unique sur ce mystère. Que veut dire être mère? Comment peut-on passer à côté d’une grossesse? Quelle souffrance psychique a ainsi le pouvoir d’interdire à l’enfant de prendre physiquement sa place? Et alors que la solidarité s’organise dans le village, Marion elle-même reste sans voix, absente face à l’ouragan qui l’a traversée à son insu.

 

 

Elle sera la dernière à prendre la parole, et celle-ci n’en est que plus forte. L’instinct maternel n’existe pas chez les humains, il s’est perdu, lui souffle la sage-femme, «une naissance c’est une adoption prenez votre temps ayez confiance en vous». Cette phrase la libère, et c’est de manière poignante que Violaine Bérot clôt Tombée des nues, forte sans doute de sa connaissance des humains comme des bêtes – elle-même a élevé des chèvres dans ses Pyrénées natales. Une interrogation fine, originale et sans tabou des zones d’ombre de la maternité.

 

 

 

Violaine Bérot, Tombée des nues, Ed. Buchet Chastel, 2018, 168 pp.

 

 

https://lecourrier.ch/2018/03/08/roman-choral-autour-dune-grossesse-invisible/