Charles Palant, dernier témoin

Dans “Croire au matin”, cinq écrivains français dialoguent avec le rescapé d’Auschwitz.

 «Je ne crois pas avoir jamais cédé aux fallacieuses promesses du grand soir, écrivait Charles Palant (1922-2016). Je ne cesserai jamais de croire au matin.» La formule donne son titre à Croire au matin, où cinq écrivains français dialoguent avec l’un des derniers survivants de l’horreur nazie, le résistant et militant communiste Charles Palant.

Elisabeth Brami, Noëlle Châtelet, Alexandre Jardin, Mazarine Pingeot et Alice Jenitzer ont chacun passé quelques heures avec le vieil homme et, impressionnés, pudiques, ont tenté de percer son mystère – comment a-t-il survécu, comment vivre après l’expérience des camps? Prenant le relais du témoignage, la littérature le dépasse, dans des textes très personnels articulés autour de différentes thématiques – l’enfance, la transmission, la parole, l’espoir, l’humanité. Et si le portrait contrasté de Palant se dessine peu à peu au fil de ces rencontres, son engagement tend avant tout un miroir aux auteurs, qui réfléchit leur subjectivité et leurs propres questionnements.

Fils de parents juifs polonais immigrés à Paris, Charles Palant aurait voulu être avocat, vocation contrariée par le décès de son père qui l’oblige à travailler à 12 ans. Il est arrêté par la Gestapo en 1943 à son domicile lyonnais, avec sa mère et sa jeune sœur. Elles périront en déportation, il sera envoyé à Buchenwald et Auschwitz. Quand il en sort, en 1945, il a 23 ans et pèse 38 kilos. Militant des droits humains, cofondateur et secrétaire général du Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix entre 1950 et 1971, Charles Palant met alors toute sa vie au service d’un monde plus juste, cultivant «l’art de la parole».

Noëlle Châtelet se sent d’emblée proche de cet «avocat de l’indicible» et s’interroge avec lui sur le sens et le pouvoir de cette parole, sur la manière de témoigner, sur l’importance de l’humour pour aborder les sujets difficiles – voire pour survivre, puisque c’est à une blague racontée à un SS qu’il doit d’avoir été épargné. Entre écoute réciproque, confiance et confessions, une intimité se noue.

Celle-ci échappe à Elisabeth Brami. Dans une autofiction sensible, elle tente d’aller au-delà des mots bien rodés du tribun, qui la laissent sur le seuil; c’est un souvenir d’enfance retrouvé qui lui permettra d’accéder au «vieil enfant» en lui, à celui qui s’embrase toujours, porté par ses rêves de justice. Mazarine Pingeot questionne elle aussi son discours militant qui évacue l’intime et tient l’autre à distance. «Cet art de la parole n’est-il pas le plus à même d’éloigner les visiteurs importuns du lieu de silence, un silence où se sont abîmées les peines et les pertes (…)?» Palant conservera tout son mystère – parce «le mystère ne se lève qu’à condition d’être partagé» et qu’il a mené une guerre pour que ce ne soit plus jamais le cas.

Modèle capitaliste

Quant à Alice Jenitzer, tentant de sonder l’indicible, elle hésite à poser les questions taboues – comment est-on encore certain de ce qu’on est quand «les repères habituels de notre être sont à ce point bafoués», comment ne pas sombrer dans l’animalité quand on nie ainsi notre humanité? «On ne survit qu’en s’accrochant», lui dira-t-il seulement, ancré dans sa posture de guerrier qui toute sa vie a livré bataille, qui a refusé les larmes.

Enfin, Alexandre Jardin en donne une autre image en restituant leur dialogue dans son oralité, avec ses maladresses et sa fragilité. Où il est question d’être soi, de courage et de résistance, du communisme et de la nature intrinsèquement capitaliste des camps de concentration: de manière saisissante, Palant décrit l’organisation rationnelle de cet immense chantier où s’affichaient les enseignes des grandes entreprises allemandes. Des marques qui se sont servies de la force de travail des déportés de toute l’Europe… Saluons la richesse de ces regards croisés et la force de la parole littéraire, qui nourrissent ici des réflexions intimes universelles.

 

Elisabeth Brami, Noëlle Châtelet, Alexandre Jardin, Mazarine Pingeot et Alice Jenitzer, Croire au matin, préface de Laurent Piolatto, Ed. Calmann Levy, 2018, 160 pp.

https://lecourrier.ch/2018/01/26/ccharles-palant-dernier-temoin/