Giacometti à Rive

Anne Maurel revient sur les quatre années que l'artiste passa reclus dans un hôtel genevois, à scultper ses figurines filiformes et minuscules.

On connaît Hippocampe, journal et revue pluridisciplinaire, également à l’origine du Festival de la revue Livraisons à Lyon. Son équipe dynamique se lance dans l’édition en publiant deux titres, Je descends la rue de Siam, carnets sonores et photographiques de Jean-Guy Coulange, et Avec ce qu’il resterait à dire d’Anne Maurel, professeure de littérature et membre du comité de rédaction d’Hippocampe: sous-titré «Sur une figurine d’Alberto Giacometti», l’ouvrage est une méditation autour d’une minuscule figure féminine que l’artiste tente de sculpter entre 1942 et 1945, reclus dans une chambre d’hôtel du quartier de Rive à Genève.

La Figurine sur socle de 1944, un plâtre peint de trois centimètres de haut fascine Anne Maurel. «Elle m’a, dès que je l’ai vue, attirée dans son espace, prise à son piège, transportée sur une scène où j’étais la chambre, le sculpteur et l’apparition.» Choisissant alors la posture du témoin, elle se glisse dans la chambre miteuse envahie de poussière de plâtre. Douze photographies d’Eli Lotar prises dans ce refuge de Rive ont rendu possible son récit. «Je n’ai pas écrit avec ces douze vues sous les yeux, mais avec les traces qu’elles avaient laissées en moi, et l’impression troublante d’une intimité partagée.» L’auteure décrit le lit, les murs, la chaise, la sellette, les vêtements. Tournant autour de Giacometti qui érige inlassablement cette brindille de femme qui marche, elle creuse avec lui le temps et l’espace s’étirant autour de sa tentative de saisir le réel, de restituer l’émotion liée à la silhouette filiforme qui s’allonge, s’émousse, s’effondre, est sans cesse à recommencer. Il s’agit d’Isabel, la femme aimée, telle qu’il l’a aperçue à minuit boulevard Saint-Michel, une apparition dont il tente de saisir l’intensité  dans une quête infinie. Son travail de quatre années tiendra dans six boîtes d’allumettes.

Lui aussi obsédé par son sujet, le texte d’Anne Maurel fait écho à la recherche du sculpteur dans un huis clos entrecoupé d’échappées, de bribes d’histoires. Où il est question d’amour, de guerre et de solitude, de distance entre les êtres, et des silences qui se glissent dans chaque écart.

 

Anne Maurel, Avec ce qu’il resterai à dire, Ed. Hippocampe, 2016, 96 pp.

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