Territoires d’enfance

Lisa, Kate, Benjamin, Léon, Valentine ou Tony: les enfants sont ces prénoms solitaires qui donnent leurs titres aux brefs chapitres du premier livre de Céline Cerny, et qui semblent flotter dans un monde d’adulte dont ils subissent les remous et les règles. Vingt-deux enfants, autant de récits à la première personne qui mettent en scène des événements forts de leur existence, instants infimes ou séismes intimes: l’auteure restitue à merveille leurs voix et leurs regards pour tracer les contours d’un monde loin d’être rose et naïf. C’est que les enfants sont au centre d’un ballet souvent obscur, tendre ou violent, aussi fantaisiste qu’inquiétant.

Il y a Richard, que sa mère ne touche pas, vaguement dégoûtée; Maurice et ses trois rêves angoissants; Julien, qui existe soudain car il s’est déchiré les ligaments et que «chez nous les témoignages d’amour n’avaient place qu’en situation d’urgence»; Marina dont les mèches sont happées par le sèche-cheveux et qui regarde à la TV la crinière blonde de Peggy la cochonne; Louisette, dont l’enfance est brisée par l’arrivée de deux voisins plus âgés. Joëlle joue à l’orpheline, la mère de Nicolas est une ogresse, Eloïse découvre les rigidités de l’église, Françoise s’égare dans un parking souterrain, et quand Valentine rencontre son grand-père inconnu, cavaleur, il ne la reconnaît pas et la regarde avec «une lueur torve et carnassière»...

Spécialiste en littérature romande – elle a notamment collaboré à l’édition des œuvres complètes de Ramuz –, Céline Cerny cisèle des récits denses, dont la force tient beaucoup à la concision et à l’apparente simplicité. Les faits sont narrés sans commentaire ni pathos au fil de proses évocatrices, sensibles, drôles parfois, attachantes toujours.

 

CELINE CERNY, LES ENFANTS SEULS, ED. D’AUTRE PART, 2015, 128 PP.

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