Orphelin de sœur

Le premier roman de la poétesse et nouvelliste Silvia Härri sonde avec finesse les répercussions d'un traumatisme d'enfance. 

 

Silvia Härri est auteure de nouvelles (Loin de soi), de poèmes (Mention fragile) et de proses poétiques (le très beau Nouaison l’an dernier, sur l’attente de la maternité). Autant de formes courtes qui demandent une attention à la langue, au rythme, à la force des images poétiques, qualité qu’on retrouve avec bonheur dans son premier roman, le dense et émouvant Je suis mort un soir d’été. Tout semble réussir à Pietro Cerretani, architecte vivant en Suisse, heureux mari et père d’un fils. Appelé à Florence, sa ville natale, au chevet de sa sœur mourante, le narrateur prendra pourtant conscience que son existence entière est bâtie autour du silence et de la fuite. «Chaque fois que j’ai trop aimé, j’ai fui. Chaque fois que j’ai eu trop mal ou que la rage m’a envahi. Chaque fois que j’ai eu peur.»

Le roman s’ouvre sur le traumatisme fondateur. Pietro a 6 ans quand il meurt symboliquement, ce 26 juillet 1957. Il joue à cache-cache avec sa petite sœur au nom de fleur, Margherita, 3 ans. Elle ne se retourne pas quand il l’appelle. «J’ai couru vers toi, je t’ai touché l’épaule. Cette fois, tu te retournes. Tu me regardes. Pas comme un grand frère, non, comme un étranger. Tu ne me reconnais pas.» Leurs rires et leurs jeux s’effacent d’un coup, balayés par l’oubli, tout comme le langage; la petite perd les mots, s’enfonce dans une solitude muette, le suit comme un chiot, le regard vide. Cette maladie que le garçon nomme «la pieuvre», cet indicible qui lui a volé sa sœur, s’insinue dans les liens familiaux peu à peu grignotés par la folie. Pietro taira toute cette histoire, le secret grandira en lui.

Alternant passé et présent, ce récit d’un silence destructeur fascine. Tendu, sensible, il suit le cheminement de son narrateur qui tente de dire le vide sur lequel il s’est construit, la peur qui a contaminé ses choix et ses relations, l’amour qui peine à se dire. Jusqu’à la réconciliation, gage d’une nouvelle liberté. Née d’un père suisse et d’une mère italienne, la Genevoise Silvia Härri ajoute ici avec bonheur une corde romanesque à son talent poétique. Je suis mort un soir d’été est en lice pour le Prix Lilau de la Ville de Lausanne.

 

Silvia Härri, Je suis mort un soir d’été, Ed. Bernard Campiche, 2016, 157 pp.

 

http://www.lecourrier.ch/143331/orphelin_de_soeur