Sois un bon petit soldat!

Le cynisme, l’humour et la révolte courent entre les lignes du deuxième roman de Denis Michelis.

Albertin est un mauvais fils. Il ne cesse de décevoir son père. Quand tous deux déménagent dans un pavillon avec «salon-salle à manger traversant» – la mère a refait sa vie ailleurs –, il est sommé de devenir un «bon fils». C’est le titre ironique du deuxième roman de Denis Michelis, placé sous les auspices du grand Thomas Bernhard, cité en exergue: c’est dire si le cynisme, l’humour et la révolte courent entre les lignes de ce récit d’un adolescent forcé à entrer dans un monde d’adultes compétitif et aliénant – le thème n’est pas sans rappeler celui du premier roman de l’écrivain, journaliste et traducteur français, La chance que tu as (Stock, 2014), qui mettait en scène un jeune serveur broyé par le monde impitoyable du travail.

Dans Le bon fils, qui fait partie de la deuxième sélection du Prix Médicis, Denis Michelis joue avec le mythe d’Œdipe pour dénoncer la pression de la réussite scolaire – car qu’est-ce qu’un bon fils sinon un garçon qui réussit à l’école? Le père est pathétique: geignard, toujours malade, dépassé, il s’exprime en formules convenues. Tous deux s’inspirent un agacement mutuel. Mais tout change avec l’arrivée de Hans, un vieil «ami»: il se donne pour mission d’aider Albertin (bientôt renommé Constant) et s’installe à demeure. Le dressage peut commencer. Il s’agit de faire entrer dans le moule un ado empli de désirs autres, qui doit abandonner ses rêves d’enfant – il parle toujours à son arbre. Symbole de la réussite, parfait sous tous rapports, Hans exerce une fascination malsaine sur le père et le fils et se révèle peu à peu une figure démoniaque proprement jouissive.

 

Une violence sourde

L’adolescence, c’est aussi l’âge des sentiments extrêmes, la capacité à fantasmer la réalité, à inventer d’autres possibles. Et de fait, bientôt, on ne sait plus ce qui est réel dans ce récit qui emprunte parfois au conte, traversé d’une violence sourde – de la part des deux hommes comme du milieu scolaire. Une violence que traduit à merveille l’énergie lapidaire qui porte Le bon fils de bout en bout: paragraphes brefs, dialogues sans marques de ponctuation, changements de personne, l’écriture confère à la trame sa vitesse et son urgence, un sentiment de danger diffus. Sur le fil entre tragique et comique, lyrisme et crudité, Denis Michelis joue par ailleurs avec les registres de langage. L’apparente simplicité de son discours cache toujours d’autres abîmes, tandis que la colère et la virulence de la critique sociale se parent des atours de l’humour et de l’étrange, pour notre grand plaisir.

 

Denis Michelis, Le bon fils, Éd. Noir sur Blanc, 2016, 216 pp.

 

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