Equivoques

Dans J’ai tué papa l’an dernier, elle donnait la parole avec une grande justesse à un enfant autiste – et à ses parents tour à tour. Mélanie Richoz confirme son talent pour faire résonner les voix dans son cinquième roman, le bref Un Garçon qui court: c’est par la forme épistolaire qu’on entre ici dans l’univers de Frédéric.

 

Ecrivain, il envoie des missives à Roger S., incarcéré depuis quelques mois. Il y revient sur son enfance, le départ de son père, sa relation étouffante avec sa mère, et ce qu’a représenté pour lui sa rencontre avec cet homme charismatique. Car Roger S. est magnétiseur; ses prémonitions et les discussions qu’il mène avec le jeune homme déboussolé, le temps d’un été décisif, le marqueront durablement. On devine pourtant une fêlure, une énigme – dans cet emprisonnement dont on ignore pour l’heure les raisons, bien sûr, mais aussi dans la distance que Frédéric garde envers sa compagne Lucille – et ces zones d’ombre modèlent l’écriture de Mélanie Richoz.

L’auteure bulloise a fait ses preuves dans l’art du peu et des silences éloquents. Elle ménage ses ellipses, compense la brièveté de ses récits par une maîtrise de la construction et de la mise en scène, par une manière de faire entendre la musique intime de ses personnages. Phrases brèves, rythme tenu, une certaine sécheresse de ton qui laisse deviner la douleur: comme le formule le narrateur, l’écriture est «l’élaboration pudique d’une pensée qui donne accès à la connaissance», de soi et des autres. Et c’est bien ce rôle que jouent les lettres de Frédéric.

Elles lui offrent aussi une pause, ce retour sur soi nécessaire au «garçon qui court» du titre, celui qui ne doit pas s’arrêter sous peine de perdre pied, qui s’est oublié pour ménager sa mère et que la vérité soudain ébranle. C’est en écrivant qu’il pourra élaborer la sienne. On se dirige bien vers un dévoilement, une réconciliation, vers une forme d’apaisement aussi, Mélanie Richoz évitant par ailleurs avec bonheur tout manichéisme. «J’ai des questions à toutes vos réponses», disait Woody Allen cité en exergue.

Mélanie Richoz, Un Garçon qui court, Slatkine, 2016, 101 pp. Mélanie Richoz sera au Livre sur les quais du 2 au 4 septembre prochains à Morges. www.lelivresurlesquais.ch

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