Sépulture de papier

Dans le très beau "Orpheline", Claire Genoux évoque la disparition de sa mère.

 

Claire Genoux
PHILIPPE PACHE

«Maintenant / les phrases sonnent vide comme des puits / plus rien que des bouches mortes / dans la tête / des morceaux / parler c’est plus la peine / il y a le vent.» «Maintenant», c’est après la mort de sa mère, quand la folie la menace «d’avoir été abandonnée comme ça», quand le sens a déserté les mots dès lors que maman est devenu sans objet. Prix Ramuz de poésie 1999, la poétesse lausannoise Claire Genoux se donne la tâche infiniment difficile d’évoquer sans détour ni impudeur la maladie puis le décès de sa mère, au début d’un lumineux mois d’avril: splendide et bouleversante traversée du deuil et du chagrin, Orpheline tisse la vie et la mort pour dire «comment ç’avait été de l’aimer». 

Composé de courts poèmes en vers libres, le recueil est divisé en neuf parties – des «Choses» à «Ecriture(s)», du «Monde de la maison» à «J’irai t’aimer sous la terre», de la concrétude des jours et des souvenirs au vertige du vide. Comme un roman, il possède sa structure dramatique avec son climax, ses retours en arrière et ses rebondissements. La justesse de ses vers va de pair avec leur simplicité. C’est avec une grande finesse, une douceur inquiète, que Claire Genoux dit la violence de l’événement comme celle de sa douleur, de sa révolte, de l’angoisse de se perdre, elle aussi, dans une éclipse de soi qui rejoindrait l’absolue noirceur. «Raconte encore / qui j’ai été», demande-t-elle à sa mère.

Egrenant alors les souvenirs – l’enfance, la maison, le jardin «ébouriffé d’abeilles», les objets familiers –, relatant l’attente, la veille, l’enterrement, l’après, elle offre à sa mère une poignante sépulture de papier.

Pour faire le récit de cette séparation qui a commencé «dans l’absence totale / des mots pour le dire», il lui faut trouver une langue, inventer une musique, et celle-ci passe par le corps – le recueil s’achève d’ailleurs par cette profession de foi poétique: «elle dit qu’écrire / c’est à cause du corps». L’écriture de Claire Genoux capte ses ondes profondes et graves, ses images sont tissées de la matière des larmes. «J’écris par ruissellement», note-t-elle et, plus loin, «qu’écrire maintenant / c’est ça / pleurer».

L’absence elle-même semble prendre corps dans le discret motif du vent qui habite le recueil, signe de l’insaisissable de la perte, de ce qui échappe au sens. Il est un murmure, un soupir, une caresse qui traverse les corps, un vide habité – incarnation fugitive, présence fantomatique et écho de la disparue.

Orpheline n’est pas sombre pour autant, malgré le poids de son sujet. Ni déserté d’autres présences, enfants, sœurs, père. Et cet homme, pour finir, qui offre un renouveau possible, un appel vers la vie, vers l’amour et la possibilité d’écrire autre chose que la mort. 

 

Claire Genoux, Orpheline, Éd. Campiche, 2016, 172 pp.

http://www.lecourrier.ch/node/141060