Moi, Antoine, autiste
Chaque matin, Antoine joue à tuer son père qui tombe sur le carrelage de la cuisine. Alors, il s’étend à ses côtés et se sent bien, à regarder avec lui le plafond en silence. Il ne faut pas le toucher: il ne supporte pas le contact physique et quand on l’embête à l’école ou quand la pression est trop forte, il hurle et se roule par terre. «Je ne pleure pas, moi. Je m’énerve et je rage, mais je ne pleure pas.» Antoine est autiste. Et quand son père se retrouve dans le coma, il croit d’abord qu’il fait semblant, comme après leur jeu quotidien.
Dans le polyphonique J’ai tué papa, la voix du garçon alterne avec celle de ses parents – le père immobile laisse lui aussi courir ses pensées –, offrant trois points de vue sur ce moment de crise. Donner la parole à un enfant autiste? Un pari risqué mais relevé avec succès par Mélanie Richoz, qui est aussi ergothérapeute à Bulle – le livre est d’ailleurs dédié «à [s]es petits patients». La voix d’Antoine sonne juste. A la fois spontanée et réfléchie, pleine d’imagination et d’humour involontaire – il ne comprend pas le deuxième degré ni la métaphore, prend tout à la lettre –, sous-tendue pourtant d’une petite musique douloureuse qui trahit la différence et la solitude, elle reflète une relation singulière au monde, sa vision étonnante et attachante des autres et de lui-même.
Mélanie Richoz dévoile ainsi avec pudeur l’univers souvent poignant de ce gamin spécial. C’est qu’Antoine a ses soucis, sa vie, et il grandit. Apprend à créer des liens, à apprivoiser les autres, à avoir des amis et même à les faire rire. A ressentir des émotions. Confronté à l’hospitalisation de son père, il passera du déni à la tristesse quand il comprend que ce n’est peut-être pas une comédie – «J’ai eu mal et simultanément, je me suis senti vivant.» Il fera alors preuve d’une surprenante sagesse... J’ai tué papa est aussi le roman d’une enfance qui s’envole, mené avec sobriété et une grande délicatesse.
MELANIE RICHOZ, J’AI TUE PAPA, ED. SLATKINE, 2015, 94 PP.
Extrait du roman à découvrir sur www.lecourrier.ch/auteursCH