Insoumission en sourdine

C’est une musique en sourdine qui traverse ce court roman: son intensité dramatique naît de sa manière particulière d’en dire moins qu’il n’en faudrait, de glisser sur les émotions, de laisser parler les silences.

 

Phrases rapides, efficaces, propos elliptique et souvent étonnant, son écriture excelle à créer une atmosphère aussi singulière que le regard de sa narratrice. Nous sommes restées à fixer l’horizon est le premier titre traduit en français de Mona Høvring, née en Norvège en 1962, auteure de cinq recueils de poèmes et de trois romans.

Olivia vit chez un collègue taciturne après avoir été mise à la porte par son petit ami. Elle le croise rarement, et cela lui convient parfaitement: tous deux ont des horaires différents dans l’usine où ils travaillent. C’est que la narratrice a renoncé à des études d’architecture à cause du chantage affectif d’une mère envahissante qui se donne des airs de bourgeoise. Pas un mot sur les sentiments que cette manipulation a pu éveiller en elle. «J’aurais dû m’en aller. Mais j’étais mollasse et désemparée, j’ai perdu mes moyens.» Et puis: «Et voilà comment j’ai dégringolé de tout mon long dans mon propre destin», conclut-elle simplement. Elle continuera donc sa vie «engluée» dans cette relation, dans sa ville natale. Le roman s’ouvre par l’enterrement de sa tante Ågot, morte alors qu’elle était de visite en Norvège – elle vivait à Reykjavik. Après la cérémonie, alors qu’elle est en train de vomir tout l’alcool ingurgité, Olivia rencontre Bé, ou Belinda, au visage «clair et diaphane et parfait». Un premier contact où les répliques fusent en ping-pong, et qui sera suivi par d’autres.

Le trouble qui naît entre elles ébranle profondément la narratrice, qui finira par s’affranchir des obligations sociales pour vivre pleinement la vie qu’elle a choisie. «Il n’y a rien de plus important dans ce monde que de trouver quelqu’un qui élimine le malaise d’être seul», dit-elle à Bé, qui l’accompagne quand elle quitte la Norvège pour aller vivre à Reykjavik, dans la maison héritée de sa tante et gardée par une «amie» de celle-ci...

Olivia possède quelque chose de dur, de sauvage, d’insoumis et de profondément attachant, qui se traduit dans la langue dépouillée de Mona Høvring, dans sa puissance sèche et sa profondeur tout en finesse, dans l’étrangeté de sa prose qui invente un univers à l’image de la jeune femme. C’est ainsi toujours de biais que s’exprime son monde intérieur, de manière indirecte et jamais frontale, comme en miroir. La scène finale en est un exemple éclatant. Olivia, attendant Bé, observe son reflet dans une vitrine: «J’avais l’impression qu’être heureuse ou pas n’avait pas la moindre importance, j’avais de toutes façons les mêmes traits, les mêmes gestes.» Nous sommes restées à fixer l’horizon vibre de toute la force de son apparente simplicité.

 

Mona Høvring, Nous sommes restées à fixer l’horizon, tr. du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud, coll. Notabilia, Ed. Noir sur Blanc, 2016, 96 pp.

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