Pompeuse tragédie

 

Son premier récit, le très bref La Lune assassinée (L’Age d’Homme, 2013), avait reçu un accueil critique élogieux et quatre prix littéraires. Damien Murith y racontait un drame paysan du début du XXe siècle au fil de chapitres concis comme des poèmes, au rythme travaillé et aux images poétiques censées toucher au plus vif. Cette histoire d’adultère dans une campagne austère nous avait pourtant procuré un sentiment de «déjà-lu», ni sa forme ni ses protagonistes n’évitant à nos yeux les stéréotypes. S’y entremêlaient aussi de grands thèmes comme la fatalité, la pauvreté et l’âpreté de la vie quotidienne, le désamour, l’infidélité, la mort violente, la destruction d’un couple et d’une famille, la folie. On retrouve ces ingrédients dans le deuxième livre de l’auteur fribourgeois, Les Mille Veuves, sauf que l’intrigue se déroule ici dans un village de pêcheurs où une femme amoureuse dispute son homme à la mer.
«Mathilde a des lèvres de miel et d’orange, Mathilde devine la tempête dans les muscles saillants du vent, Mathilde console l’eau vive des orages quand dans une flaque de boue, elle croupit», Mathilde surtout ne supporte pas que son Gilles parte pêcher. Il finira par renoncer pour elle, mais se sentira piégé. Le tout culminera dans un finale dramatique, la nature et les éléments souvent déchaînés faisant écho aux sentiments des protagonistes. Divisé en trois parties comme les actes d’une tragédie d’antan, le récit avance par courts chapitres d’une ou deux pages, composés de paragraphes resserrés où les défauts de La Lune assassinée malheureusement se confirment.
Car si la trame manque peut-être d’originalité, c’est surtout le style qui peine à convaincre: Damien Murith use jusqu’au trop-plein d’une écriture accumulant images fortes, comparaisons et métaphores poétiques, dans un registre fiévreux et lyrique à l’extrême qui semble lutter à chaque page pour exprimer la violence des sentiments et toucher le lecteur à tout prix. Résultat: cette Mathilde implorante finit par agacer tant ses émotions emphatiques manquent de nuances et d’implicite. Et les personnages comme l’intrigue de glisser des archétypes aux clichés, de la poésie aux poncifs. Au lieu d’être au service d’un univers – celui de simples pêcheurs effectivement proches d’une nature puissante –, la prose de Damien Murith semble ainsi terriblement affectée. Dommage, car on ne peut que saluer la richesse de sa langue et de sa sensibilité, son remarquable travail sur le rythme: il gagnerait donc réellement à davantage de sobriété.

 
 

DAMIEN MURITH, LES MILLE VEUVES, ED. L’AGE D’HOMME, 2015, 99 PP.

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